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chap. 5e.
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desséchement des marais.

allons consigner ici quelques faits qui peuvent attirer l’attention des ingénieurs aussi bien que des agriculteurs.

Si l’on est dans le cas de battre des pieux dans des lits de rivière à fond de gravier, comme sont, par exemple, ceux de l’Isère, du Drac et de la Durance, il est bon d’être prévenu qu’on ne peut les y faire entrer que d’environ 4 mètres, et que lorsqu’ils doivent prendre une fiche plus grande, il faut draguer emplacement de manière à ce que les pieux n’aient plus à entrer dans le gravier que de 4 mètres en contre-bas du fond de la fouille. Pour n’avoir pas connu ce fait d’expérience, l’auteur du pont de Bon-Pas, sur la Durance, n’a pu donner aux pieux des palées une fiche suffisante en contre-bas de la superficie du gravier, en sorte que plusieurs de ces palées ont été emportées, et que l’on n’a sauvé les autres, déjà plus ou moins affaissées, qu’en défendant leur pied par de solides enrochemens en fortes dalles perdues d’environ 2 mètres de longueur, de 0m 66 de largeur et de 0m 33 d’épaisseur, qui sont capables de résister à une vitesse de 15 mètres par seconde (voyez Gauthey, page 272, tome II). Ainsi dans les enrochemens exposés à l’action d’un courant destructeur, il ne faut point employer des masses rondes et informes, mais des blocs minces et longs[1].

Quelquefois, sous le gravier, les pieux atteignent un banc de roche : si l’on continue alors à battre, le bout des pieux s’émousse, sort du sabot, se barbelle comme un champignon ; l’on compte sur une fiche que l’on n’a pas, et l’ouvrage est emporté à la première grande crue qui remue le gravier jusqu’au fond solide. C’est ce qui est arrivé, le 26 mai 1818, au pont de Furan, à peine terminé, dans le département de l’Isère.

Si les marais étaient longés par un cours d’eau contre lequel il fallût les défendre, comme les marais d’Arles qui sont voisins et en contre-bas du Rhône, ou s’ils étaient traversés par un torrent considérable ou une rivière torrentielle, il faudrait diguer ou encaisser ces cours d’eau. Le meilleur mode, selon nous, serait d’imiter en partie celui qui est en usage dans le Midi, sur la Durance et le Rhône, lequel consiste, suivant que les localités s’y présentent, à former un lit mineur propre à écouler les eaux ordinaires et les petites crues, au moyen de berges solides submersibles en enrochemens ou en fascinages ; à border ce lit par deux ségonneaux ou bandes de terrain également submersibles, et à terminer le tout par deux fortes levées en terre surmontant les plus hautes eaux et formant le lit majeur. Les ségonneaux ne sont point pour cela enlevés à l’agriculture, ils sont seulement exposés aux inondations. Dans les ségonneaux de la Durance, il y a des terrains plantés en vignes et cultivés en céréales, et dans ceux du Rhône on trouve même des bâtimens d’exploitation.

L’aspect effrayant du lit des torrens ne doit point faire préjuger un volume d’eau trop considérable en rapport avec la vaste étendue des terrains submergés ; il faut jauger le volume d’eau aussi bien que possible, et ne pas craindre ensuite de réduire le nouveau lit, s’il doit être encaissé, à la faible largeur nécessaire pour le débit des plus grandes eaux. La détermination de cette largeur demande de longs détails que les bornes de cet article ne nous permettent pas de développer ici ; il nous suffira de dire, comme résultats d’une grande expérience, qu’une trop grande largeur a les plus graves inconvéniens, et que l’endiguement des torrens est soumis à de nombreuses considérations importantes et délicates qui méritent toute l’attention des ingénieurs.

Comme exemples frappans du peu de largeur que l’on peut donner aux lits encaissés des grands cours d’eau, nous citerons : 1o le Drac, torrent considérable qui a son embouchure dans l’Isère, un peu en aval de Grenoble, et débite jusqu’à 4,000 mètres cubes d’eau par seconde. En aval du pont de Claix, d’une seule arche de 47 mètres d’ouverture, il a 3 mètres de pente par 1000 mètres, et un lit de 130 mètres de largeur entre les digues insubmersibles ; tandis qu’en amont dudit pont où sa pente est de 4 à 5 mètres par 1000 mètres, il occupe une largeur de 2,000 à 3,000 mètres.

2o L’Isère, qui, avant d’entrer en France, sillonne et inonde une grande surface, débite dans Grenoble 2,000 mètres cubes au moyen d’un lit de 90 mètres de largeur et d’une pente d’un mètre par 1,000 mètres, et avec la même pente, après avoir reçu le Drac, écoule ses eaux, ayant alors un débit de près de 6,000 mètres, au moyen d’un canal de 240 mètres de largeur, formé par des digues insubmersibles.

3o Le Rhône, dont le lit vague et très-large en amont de Lyon, débitant environ 4,000 mètres cubes, passe sous le pont Morand, de 200 mètres d’ouverture, conserve cette même largeur au pont de Sainte-Colombe, à Vienne, quoiqu’ayant reçu la Saône fournissant 2,000 mètres, et a encore la même largeur au pont de Valence, après avoir reçu l’Isère ;

4o Enfin, la Durance, à laquelle nous avons reconnu qu’en avant du pont de Bon-Pas, ayant 546 mètres d’ouverture, un lit encaissé de 300 mètres de largeur serait suffisant, avec une pente de 2m 50 par 1,000 mètres pour écouler les plus grandes eaux évaluées au maximum à 6,000 mètres cubes ; tandis que le lit actuel entre Mirabeau et le Rhône a une largeur variable de 1,000 à 2,000 mètres.

Les digues doivent être assez larges à leur couronnement pour recevoir des approvisionnemens de prévoyance destinés à leur entretien et à la réparation des avaries ; pour permettre en outre le passage d’une ou deux voitures, et pour recevoir sur le talus extérieur une ou deux lignes de plantations d’arbres qui sont d’un grand secours en cas de rupture des levées.

  1. Voir, pour plus de développement, l’ouvrage de M. de Prony, sur les marais Pontins ; l’extrait qui en a été fait par M. Navier dans les Annales de physique et de chimie, tome xi, an 1819 ; et le chapitre viii des canaux de dessèchement, tome [illisible] des Principes hydrauliques, par Dubuat