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AGRICULTURE : ARTS AGRICOLES.

à une certaine distance du môle établi parallèlement au courant ; enfin, l’épi se trouvera chaussé par un amas de gravier déposé sous la forme d’un triangle. Quant à l’aval, la rivière aura continué de creuser son lit sur une étendue de plus de 500 mètres, en s’encaissant sur cette longueur, de manière à ne plus l’abandonner ; et elle aura en même temps relevé le terrain qui la borde, en y jetant les graviers provenant du lit creusé. Si l’on continue ensuite sur le même plan, en établissant des épis à 400 mètres environ les uns des autres, on éprouvera toujours les mêmes effets. Il ne faut renvoyer le courant qu’au milieu du lit de la rivière ; autrement un contre-courant irait ravager l’autre bord.

Il est question maintenant d’utiliser le terrain qui a été garanti contre les attaques de la rivière, et d’empêcher que les eaux ne s’y répandent d’une manière nuisible. On obtiendra cet effet en formant entre les môles, et à 10 mètres environ en arrière de leur face extérieure, une levée en gravier et pierrailles, de 5 mètres de base pour 1 de hauteur, et arrondie en arc de cercle ; mais on ne s’en occupera qu’après avoir donné aux eaux le temps d’élever le terrain compris entre les deux épis à réunir. La hauteur de cette levée sera de 40 centimètres à sa naissance, sous le môle inférieur du premier épi, et de 1 mèt. 1/2 à son extrémité contre la jetée de l’épi intérieur. Ensuite, on emploiera les plus grosses pierres entre celles qui ont été élevées par les eaux sur les terrains, pour revêtir ces digues, et l’on y piquera de jeunes plants d’osiers, d’aunes, de peupliers et de saules, qu’on ne laissera sortir que de 6 pouces au-dessus de la surface de la levée au moment de la plantation. Enfin, pour compléter le système, on construira de 100 mètres en 100 mètres, immédiatement en avant de la levée arrondie, placée longitudinalement, de petits ouvrages auxquels on emploiera les pierres susceptibles d’être maniées par un homme ; lesdits ouvrages ayant la même inclinaison que les bords de la rivière, inclinés comme les épis vers l’amont, et terminés par des môles de la forme de ceux qui accompagnent ces épis. Alors, pour introduire et faire arriver sur les dépôts limoneux des eaux d’arrosage, et favoriser encore l’attérissement, on réservera dans le premier épi en amont des ouvertures que l’on garnira de vannes, et l’on pratiquera des aqueducs dans les épis inférieurs.

Tel est le système de M. Fiard ; il a été appliqué avec succès aux rives de la Durance, dans les Hautes-Alpes, et a valu à son ingénieux auteur une gratification de 3,000 francs, allouée par le ministre du commerce, ainsi que des médailles d’or décernées par la Société royale et centrale d’agriculture et par celle d’encouragement pour l’industrie nationale ; puisse-t-on former une école sous sa direction !

Dans les digues, on pratiquait ordinairement des martellières, espèces d’écluses ou de vannes, prenant l’eau à un point supérieur, soit pour arroser les champs ou les prairies, soit pour transformer les délaissés en terrains cultivables, dans des délais calculés sur la quantité de limon que le torrent charrie, et qu’on évalue, dans les Hautes-Alpes, de 3 à 4 ans pour la Durance. S’il est des galets que ne puisse atteindre l’eau, on l’attire dans des trous voisins, où elle dépose son résidu qu’on porte en temps utile sur les points qu’on veut rendre productifs. Ce mode est en usage sur les bords du Rhône.

Quant aux rives de la mer, l’avantage d’élever successivement le sol par des dépôts journaliers cède devant l’inconvénient qu’entraîne l’introduction des eaux salées qui, dans le nord de la France, diminuent fortement pendant quinze années les produits des terrains submergés. Dans l’Ouest, et surtout à Noirmoutiers, on se hâte d’interdire aux eaux, à tout jamais, leur rentrée sur les parties à conquérir par les ouvrages d’art dont nous allons parler tout-à-l’heure. Une mer favorable déposerait des sédimens qui élèveraient le sol ; mais il suffirait de vents impétueux pour le couvrir de galets, et d’une tempête pour le dévaster.

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§ iii. — Des polders ; — des digues sur les bords des fleuves et de la mer.

On appelle polders les terrains défendus par des digues contre les invasions de la mer ou des fleuves. Nous allons citer ici le Rhin.

Ce fleuve fait des affouillemens sur l’un de ses bords, tandis que sur l’autre il abandonne une partie des terres. En général, de Bâle à Clèves la rive gauche est moins élevée que la droite, et c’est pour la protéger que Frédéric II, en 1707, établit la législation relative au grand-duché de Clèves, y organisa les associations, et détermina les principes à suivre pour les ouvrages d’art. J’essayais de remettre en vigueur tout ce que renfermait d’utile ce règlement, lorsque l’empereur nomma M. Maillard directeur général des polders. Dans l’ancien département de la Roër, chacune de nos divisions fut composée de deux chefs députés, dont les fonctions étaient gratuites, d’un deichgraff, de trois jurés, d’un greffier, et l’on y attacha un messager garde-digues. Le décret du 22 janvier 1813 fixa la tenue des assemblées, le mode des contributions et le concours pour la défense.

Il y a dans cette belle province des digues d’hiver et des digues d’été, toutes formées de terre, et dont on exclut autant que possible le sable, qui facilite les affouillemens : celles-là, protégées par des oseraies, lorsque les alluvions le permettent, s’opposent aux crues occasionées par la fonte des neiges, et qui, amenant une immense masse d’eau dans la partie septentrionale du fleuve où cette fonte n’a pas été encore effectuée, soulèvent parfois jusqu’à une hauteur de 40 à 60 pieds les glaces qui se précipitent sur les digues, et les déchirent. Les digues d’été sont des remparts en seconde ligne, moins élevés, et qui quelque fois se trouvent insuffisans, comme en 1810, où je fus obligé d’appeler toute la population voisine pour empêcher que le Rhin ne se jetât dans le Wahal, et ne submergeât la Hollande.

Les statuts des polders de la Roër furent à peu près les mêmes que ceux de l’Escaut, de la Lys, des Bouches-du-Rhin et des Deux-Nèthes.