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AGRICULTURE : ENGRAIS.

la moisson est faite, on profite de la première pluie pour semer des fèves sur les ados de chaque sillon dans la proportion de près de 2 hectolitres par hectare ; à l’automne, lorsqu’elles sont en fleur, on les enterre à la bêche pour préparer le sol à recevoir, en mars suivant, une récolte de chanvre. — Dans le Vicentin, on coupe les fèves en janvier et on les enfouit peu de temps avant de semer la plante qu’elles sont destinées à alimenter. — Les Toscans les coupent à la fin d’août ou au commencement de septembre, et les font servir à l’amélioration des fonds légers dans lesquels ils les enterrent au moment des semailles. — La roquette (Sisymbrium), quoique les cultivateurs éclairés ne la regardent pas comme une des plantes qui présentent le plus d’avantages pour ce genre d’amélioration du sol, est cependant employée assez en grand dans la campagne Bolonaise et dans quelques parties de l’ancienne Romagne. Semée à la fin d’août à raison de 4 à 5 kilogrammes par hectare, elle est en état d’être enfouie de la mi-novembre à la fin de ce mois. — Aux alentours de Côme ce sont les haricots qu’on préfère. — Sur quelques points du Milanais, depuis un temps immémorial on enfouit le navet en vert, malgré les utiles produits qu’on pourrait en tirer pour la nourriture des bestiaux. — Enfin, dans le val d’Arno, le pays de Reggio, la Calabre, etc., etc., on sème encore, selon les localités, pour le même usage, le galega ou rue-chèvre, l’ers, la vesce, le sainfoin commun et celui d’Espagne, le millet et le maïs.

La pratique des récoltes enfouies est aussi assez générale dans quelques-uns de nos départemens méridionaux. Le lupin et le sarrasin y sont cultivés communément dans l’unique but de suppléer à l’insuffisance des engrais. Ces deux plantes, d’une croissance rapide, peu difficiles sur le choix du terrain, riches en parties foliacées et d’une végétation à l’épreuve des sécheresses, peuvent être semées à l’aide d’un seul labour, sur un chaume retourné immédiatement après la moisson, et enfouies au moment de l’épanouissement de leurs fleurs, de manière à ne retarder aucunement les semailles d’automne. — Le sarrasin, dont on peut partout se procurer les graines à bas prix et dont un hectolitre environ suffit pour ensemencer un hectare dans le cas dont il s’agit, offre particulièrement de grandes ressources pour les pays pauvres : mieux que le lupin, il réussit dans nos contrées septentrionales, ainsi que le trèfle, la spergule et les raves qu’on y cultive dans le même but sur les terrains secs et légers. — Les fèves, les pois et les vesces sont préférés pour les terres argileuses.

C’est une coutume déjà fort ancienne sur divers points des bords du Rhône, et notamment aux environs de Bescenay, de semer des vesces ou du sarrasin aussitôt après la récolte du froment et de les enterrer à la fin de septembre pour semer du seigle. — Après la récolte du seigle, la même culture recommence pour préparer la terre à recevoir du froment en octobre.

Suivant M. Sutières, la fève est le meilleur des engrais verts pour le froment et les prés. Cette plante peut, avec le temps, fertiliser les terrains les plus médiocres. On la fauche pendant le cours de la floraison ou peu de temps après, puis on l’enterre à la charrue au fond des sillons.

Les beaux chanvres du Bolonais sont dus à l’enfouissement du seigle en fleur, et les habitans de Turin utilisent la même céréale comme engrais, entre la culture du maïs et celle du froment.

Je ne chercherai pas à citer un plus grand nombre d’exemples, parce que nous aurons nécessairement à nous occuper encore de la pratique des récoltes enfouies, en traitant avec détail des assolemens.

À mesure qu’on remonte du midi vers le nord, les avantages des engrais verts sont moins grands ; aussi, malgré quelques expériences heureuses faites en Angleterre et en Irlande, les cultivateurs de ce pays ont-ils pour la plupart renoncé à ce mode de fumure, regardant comme beaucoup plus avantageux de convertir les récoltes vertes en fumier, en les faisant consommer par les bestiaux, que de les enterrer.

On ne trouve pas toujours et partout assez de temps, ou un temps assez favorable entre la moisson et les semailles, pour obtenir une récolte propre à être enfouie aux approches de cette seconde époque. En pareil cas, les cultures-engrais ne peuvent être utilisées que sur jachère. Elles tiennent lieu d’une semence de printemps, mais elles préparent infiniment mieux le sol appauvri pour celle d’automne qu’une jachère d’été, lorsque celle-ci eût été nécessaire, puisqu’elles équivalent à une fumure, et cela sans surcroît bien sensible de travail et de dépense, attendu que les labours ne sont guère plus et souvent pas plus nombreux, et qu’avec un peu de soin, il est toujours facile de se procurer, sur la propriété même, les graines nécessaires.

Il est des circonstances dans lesquelles l’enfouissement des plantes vertes précède les semis de mars. Cela arrive, assez rarement, lorsque dans des terrains de mauvaise qualité on enterre successivement plusieurs récoltes différentes dont la dernière ne peut se commencer qu’aux approches des froids, et lorsqu’on a intérêt à ne retourner qu’au printemps un vieux trèfle ou toute autre prairie artificielle. — D’autres fois, après une ou plusieurs coupes pendant le cours de la belle saison, on en réserve une dernière pour être enterrée en automne. — Plus communément, on n’enterre que les racines ; mais une pareille pratique sort du sujet qui nous occupe en ce moment.

Les végétaux herbacés ne sont pas les seuls qu’on utilise comme engrais verts. On emploie au même usage des arbustes et même des arbrisseaux. Lors du défoncement des friches couvertes de genêts, d’ajoncs ou de bruyères, au lieu de brûler, ou tout en brûlant une partie de ces végétaux sur le sol, on enfouit quelquefois les rameaux au fond de la jauge de labour pour en obtenir un engrais durable et un excellent amendement des terres fortes.

Il arrive aussi qu’on les réunit par bottes et qu’on les transporte dans les vignes épuisées par une longue production, pour leur