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avait fallu une foi bien robuste en sa vocation pour ne pas succomber. Comment faire comprendre aux autres que dans ces ébauches grossières il y avait du talent ? Puis enfin un personnage influent, désireux de protéger toute promesse de talent dans ce dur pays du Nord où les arts s’acclimatent difficilement, lui avait procuré une petite pension et l’avait envoyé étudier à Paris. Là encore il n’avait guère eu de succès ; un étranger reste bien longtemps un étranger dans la grande ville ; quand la mode s’en mêle, ce titre même est un attrait de plus pour la foule avide de nouveautés, mais jusqu’à ce qu’elle ait parlé, l’intrus se fait difficilement une petite place au soleil ; il y a tant de concurrents !

Ah ! que tout cela avait été dur ! Il avait mené une vie d’ascète, travaillant avec acharnement, avec rage, comme une chanteuse douée d’une voix forte et vibrante, mais difficile à manier, et qui pour l’assouplir doit faire dix fois plus de gammes qu’une autre. Tout le bonheur débordant de la jeunesse avait passé à côté de ce grand garçon maigre, gauche, qui ne savait pas le prendre au vol ; les femmes se moquaient de lui, et il passait son chemin, triste et seul. En Russie, où il avait fallu retourner, une fois sa pension achevée, le succès lui était enfin venu. Un tableau, — celui qui se trouvait dans la galerie de la baronne Véra, — avait