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aîné, le grand, le fondateur de la maison, le vrai baron, qui était fou d’elle, — dont elle faisait ce qu’elle voulait. À Nice, où son médecin l’avait envoyé, deux ans auparavant, il s’était trouvé au même hôtel que les deux femmes, la comtesse russe et sa fille Véra. Il s’était moqué de la noblesse problématique de la mère, et avait cherché, le vieux roué, à séduire la fille. Elle avait si bien joué son rôle d’ingénue qu’il l’avait épousée. La grosse Amélie, sa belle-sœur ne s’était mariée, elle, que grâce à sa fortune ; ce n’était qu’une sotte, lourdement ambitieuse, qui avait compté sur les millions du grand beau-frère pour ses enfants, et qui se vengeait comme elle le pouvait : sottement, par des gros mots.

Véra n’avait pas d’enfants ; après deux années de mariage, elle n’en espérait plus guère, mais elle se demandait, étant fort curieuse de sa nature, si réellement l’amour maternel était bien ce que l’on prétendait ; s’il valait la peine qu’on le ressentit. Elle se méfiait beaucoup des phrases toutes faites, des formules de sentiments à l’usage de tout le monde. Elle avait, par exemple, beaucoup entendu parler des extases de l’amour, et n’y croyait pas le moins du monde : son métier de fille pauvre qui cherche un mari l’avait jetée dans la société de beaucoup d’hommes ; on lui avait fait la cour plus qu’à d’autres, et beaucoup plus librement, et jamais pourtant sa