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En revanche, il y eut un débordement d’indignation lorsqu’on sut que le Roi avait fait bon accueil à la nouvelle venue dont on attribuait la paternité à Beltrân de la Cueva, nommé Comte de Ledesma et appelé au conseil en récompense de services insignes rendus à la couronne. Non content de choisir comme parrain l’Ambassadeur de France et le Marquis de Villena, il contraignit sa sœur Isabelle à servir de marraine à la petite Infante. Il ne s’en tint pas là. Pris d’une belle passion pour la fillette qui reçut le nom de Juana porté par sa mère, il ordonna de convoquer les Cortes qui la proclameraient princesse héréditaire de Léon et de Castille et lui jureraient fidélité en qualité de princesse des Asturies. En même temps, il commandait de ramener à la Cour son frère et sa sœur, alors âgés de neuf et onze ans, de crainte que les grands ne s’en fissent une arme contre lui. Pour les enlever à leur mère désolée, il allégua la nécessité de leur donner un état de maison en harmonie avec leur haute situation . En vérité, les Infants seraient entre ses mains des otages précieux et des gages de la paix publique.

La Reine douairière n’avait aucun moyen de s’opposer à la volonté de son beau-fils. Elle dut laisser partir les enfants adorés qui, depuis huit ans, étaient la consolation de sa vie. Elle n’était pas seulement désespérée de les perdre. Très pieuse, elle les voyait avec effroi livrés sans défense et dans un âge si tendre aux tentations de la Cour la plus dissolue qui fût en Europe. Quel exemple serait pour la petite Isabelle la conduite licencieuse de la Reine Juana auprès de qui elle devrait vivre désormais ! La douleur, l’inquiétude, l’abandon jetèrent un voile noir sur un esprit déjà porté à la mélancolie, un affaiblissement cérébral se manifesta et la malheureuse Princesse tomba dans une démence douce dont elle ne devait jamais guérir.

Bien que démoralisée par ses habitudes de concussion, de pillage et d’inconduite, la noblesse frémit de honte en apprenant les intentions du Roi. Une ligue se forma sous la direction de l’Archevêque de Tolède et du Marquis de Villena ardents à protester contre la proclamation des droits de la Beltraneja (la fille de Beltrân). Les Cortes, réunies à Burgos, refusèrent de prêter le serment de fidélité et demandèrent, la menace à la bouche, qu’à défaut d’enfant légitime, Enrique reconnût et fît reconnaître les droits héréditaires de son frère cadet, l’Infant Don Alfonso, avec le titre de prince des Asturies. On lui rendrait aussi la grande maîtrise de l’ordre de Santiago dont on l’avait dépouillé pour la donner à Beltrân de la Cueva. Cette reconnaissance entraînait implicitement le désaveu de paternité. Les ligueurs