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Pour cela, utilise ton argent avec sagesse, bien plus pour le superflu que pour le nécessaire.

Ce n’est pas pour tes plaisirs que tu auras besoin d’argent. Après t’être étonné de la difficulté que l’on a à se procurer le moindre billet de théâtre et avoir admiré en secret ces innombrables gens qui disent « avoir leurs entrées partout », tu verras vite qu’en somme à Paris les plaisirs sont gratuits pour un jeune homme intelligent, parce qu’au lieu d’être la satisfaction de désirs immédiats ils sont faits du sentiment que l’individu progresse et s’agrandit.

Les omnibus, le métropolitain, les consommations que tu prendras à côté des grands poètes des cafés constitueront presque toutes tes dépenses. Les modestes ressources dont tu disposes disparaîtront bien vite par la lente usure des petites sommes. N’hésite pas à manger mal dans des endroits obscurs et parmi des humbles, car les œufs et les légumes sont bons partout et ce superflu, qu’est un fiacre, si tu l’offres à propos, peut avoir une portée infinie sur l’ensemble de ta vie.

Arrange-toi pour que tu n’aies pas sensiblement moins d’argent à la fin du mois qu’au commencement. Sans doute un de tes amis, étudiant ou écrivain, se flattera de manger en trois jours la pension de sa famille. C’est un prestige très grand qui tient à la fois de la splendeur des orgies et de l’attrait de la générosité. Ne t’y laisse pas prendre. Cet ami a cer-