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comme tu vaudrais. Songe un peu, mon frangin, t’es pas bien à plaindre. T’es artiste, c’est le plus beau des métiers. T’as ta binette dans les quotidiens, et pour ce qui est de briffer, tu ne peux pas dire que je te refuse rien, lors quoi, vieux frère ? Faut te faire une raison.

À bout d’éloquence, il s’assit sur la table près du singe.

— Les bêtes, déclara-t-il avec un découragement comique, c’est pas plus raisonnable que les gens.

Le gorille fut-il sensible au bon sens qui dictait ces paroles ? Un peu de la philosophie que prêchait Godolphin pénétra-t-il en lui ? Toujours est-il qu’il parut se calmer ; ses mains s’écartèrent, ses bras retombèrent le long de son corps. Il poussa un soupir et se leva.

Après avoir fait quelques pas d’un air morne, il s’arrêta devant le tableau et reprit la craie en regardant le saltimbanque comme pour solliciter son attention.

— Tu veux bavarder ? demanda Godolphin, qui comprit. Vas-y, vieux Poil-aux-Pattes. Soulage-toi. Dis voir ce que tu as sur le cœur.

Il attira la chaise abandonnée par la bête et s’y assit à califourchon, les bras repliés sur le dossier, l’œil fixant le tableau.

Alors, le plus fantastique des conversations commença. Fiévreusement, écrasant contre le bois la craie qui grinçait parfois, le gorille écrivait ses questions, puis il se retournait vers l’homme et attendait sa réponse, impatient et anxieux. Celle-ci obtenue, il balayait le tableau à grands coups d’éponge qui faisaient voler dans l’air des nuages de poussière blanche et traçait furieusement une nouvelle demande.

C’était angoissant et ahurissant. Mais Godolphin ne semblait pas s’en émouvoir. Sans doute, il était arrivé aux extrêmes limites de l’étonnement.