Page:Magdeleine du Genestoux Le trésor de Mr. Toupie - 1924.djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.
54
LE TRÉSOR DE M. TOUPIE

de l’hôtel pour guetter le retour de son frère.

Elle n’était pas depuis dix minutes en observation, qu’elle entendit tout à coup un vacarme au bout de la rue et aperçut un cavalier monté sur un cheval couvert de poussière et qui s’avançait à grande allure. C’était Paul, qui s’arrêta net devant le perron. Sautant à bas de sa monture, il saisit Colette dans ses bras en S’écriant :

« Chère petite sœur, tu ne te doutes pas que tu m’as fait faire la plus délicieuse promenade de ma vie ! »

Il tendit la bride du cheval à un garçon de l’hôtel (tout le monde était accouru sur le seuil pour voir quel était ce cavalier fougueux).

« Mettez la bête à l’écurie et bouchonnez-la comme il faut. Ne lui donnez ni à manger ni à boire pour l’instant, car elle a trop chaud… J’irai la voir dans une demi-heure. Je pense que vous savez soigner un cheval ?

— Eh oui, m’sieu, je suis resté cinq ans chez m’sieu Pavac, l’éleveur d’Auray.

— Cette bête vient de chez lui. Alors, c’est parfait !… »

Puis, se tournant vers Colette qui n’était pas encore revenue de son étonnement :

« Je l’ai achetée, cette jument. Elle s’appelle Helgoat. Ce sera un souvenir de notre voyage en Bretagne… Mais dis donc, petite farceuse, c’est comme ça que tu voulais abandonner ton vieux frère ?

— Oh ! je savais bien que tu te débrouillerais pour revenir vite, Mais ce que mademoiselle m’a grondée ! Et puis, tu sais, elle veut retourner immédiatement à Arles ; elle en a assez du voyage… Ça, c’est triste. »

Paul regarda sa sœur en riant.

« Non, ça ne se fera pas… C’est une plaisanterie. À propos, il y a ici des chevaux excellents ; je vais écrire à papa. Je pourrais en acheter plusieurs paires : ça serait une très bonne affaire…

— Et que décides-tu pour notre voyage ?

— Nous allons nous arranger pour parcourir rapidement la Bretagne en automobile ; ensuite nous verrons… Mais allons trouver Mlle Marlvin. »

Une fois de plus la pauvre institutrice constata que Colette finissait par avoir toujours le dernier mot. Elle dut céder aux instances de Paul qui se montrait extrêmement indulgent pour le mauvais tour que lui avait joué sa sœur.

« C’est ça, s’écria Colette qui avait déjà repris entrain et gaîté, nous partirons le matin et nous ne nous arrêterons que pour nous coucher. De cette façon, nous finirons très vite notre inspection. Vous voyez, mademoiselle, ajouta-t-elle en se tournant vers son institutrice dont le visage désolé était comique, il ne faut pas vous attrister. »

Pendant les jours qui suivirent, l’automobile jaune parcourut la Bretagne, avec la vitesse d’un bolide : le soir, les voyageurs gagnaient leur gîte à des heures très variables. Tantôt on atteignait un lieu habitable vers sept heures : dans ce cas on dînait, puis, après une petite promenade, Paul et sa sœur se couchaient, harassés de fatigue. Quelquefois, retardés par la visite d’un monument, d’un site, ce n’était que bien avant dans la nuit que les voyageurs gagnaient hôtel de petite ville ou auberge de campagne. Mlle Marlvin était au désespoir. Colette riait, tandis que Paul fumait philosophiquement des cigarettes.

Nos voyageurs allèrent au gré de la fantaisie et des caprices de Colette, c’est-à-dire presque toujours au hasard, à travers le Morbihan, le Finistère et les Côtes-du-Nord, dans toutes les localités connues pour être des lieux de pèlerinage, ou tout au moins renfermant chapelle, statue, etc, vénérée par les gens du pays. Mais Colette, avec désespoir, ne voyait jamais que des statues de saintes ou de saints, ou des calvaires ! Et puis, le temps était souvent couvert, d’un gris sombre. Il ventait dur et parfois il pleuvait.

Cependant, ils arrivèrent à Locronan, près de Douarnenez, par une journée éblouissante de soleil. Le bourg était en pleine effervescence. Une foule énorme le remplissait. Ce n’était que Bretons et Bretonnes, en pittoresques costumes, chacun évoquant le coin de Bretagne d’où était originaire celui ou celle qui le portait. On ne voyait que coiffes aux formes infiniment variées, dont les ailes voltigeaient au vent, grands chapeaux, robes et gilets couverts de broderies de couleur. Des mendiants, des infirmes, psalmodiaient leurs plaintes et leurs supplications. Des cercles se