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la misère, et que le lendemain il faudrait recommencer ; ces excuses, qui, malheureusement, sont très souvent justes et vraies, ne peuvent jamais satisfaire pleinement le cœur. On se sent poursuivi par une sorte de regret : on eût mieux aimé que la raison eût conduit à une conviction opposée ; puis un doute s’insinue et trouble l’esprit : après tout, cette main qu’on a vue s’alonger en passant, ouverte et tremblante, était peut-être réellement honnête et affaiblie par la faim. Mais encore, que faire ?

Écoutez. Dès que ce combat s’élève en vous, n’ayez pas de fausse honte, et abandonnez-vous entièrement au désir de votre conscience ; revenez sur vos pas ; interrogez ce mendiant, sans dureté, sans familiarité choquante, et aussi sans aucune sensiblerie ; parlez-lui comme à tout homme, votre semblable, votre concitoyen ; apprenez de lui s’il a l’habitude de demander l’aumône, s’il sait quelque profession, s’il a cherché du travail, s’il serait heureux d’avoir des outils, des instrumens, ou quelques approvisionnemens pour entreprendre un métier. S’il sourit de dédain ou murmure, s’il refuse et continue à demander de l’argent, honte à lui et pitié ! c’est une dégradation morale que vos n’avez pas mission ou puissance de réformer. Vous avez fait votre devoir ; passez. S’il répond au contraire avec empressement à vos questions, s’il accepte avec un tremblement d’émotion vos offres, qu’il vous conduise vers sa famille, qu’il vous enseigne le lieu où est son grabat, entendez ce que disent de lui, non pas son logeur ou son marchand de vin, qui espèreront de votre compassion le paiement de ce qui leur est dû, mais ceux qui n’ont d’autre intérêt pour vous apitoyer sur son sort que celui de la vérité ; et alors, si vous avez trouvé une pauvreté, même à demi vertueuse, soyez-lui secourable ; suivant vos ressources, suivant l’habileté de votre protégé et le métier qu’il préfèrera embrasser, faites-lui l’avance de quelques outils ou de quelques provisions, que vous achèterez vous-même en le consultant. Cherchez dans le tarif des diverses dépenses nécessaires pour la plupart des petits états, et calculez bien ; vous pourriez établir ainsi presque toute une famille, père, mère, enfans, avec moins de frais qu’il ne vous en coûte pour conduire votre épouse et vos filles à un bal d’indigens par souscription. Vous aurez vraiment fait le bien avec connaissance de cause, vous aurez pratiqué la charité utile, et vous en serez récompensé ; car le soin de continuer’votre œuvre par vos encouragemens, votre surveillance, vos conseils, écartera de vous cette laide maladie contagieuse de l’égoïsme, qui refroidit et aigrit en nous les meilleurs penchans, et qui n’est jamais si repoussante que lorsqu’elle rit sur le visage d’un homme insolemment indifférent à la misère, parce qu’il n’en souffre point.

Nous avons dit qu’il y a une variété infinie de petits métiers qui peuvent se former en un jour, et nous avons déjà consacré quelques lignes à ceux du cordonnier en vieux, du chiffonnier, et de la marchande de friture ; voici quelques uns des autres documens que nous avons promis de donner successivement.

Marchande des quatre saisons. — Cet état est l’un des plus faciles et des moins dispendieux, qu’une pauvre fille réduite à la dernière détresse puisse embrasser. En un quart d’heure, le métier est appris et fondé : Le comité de jeunes gens de la rue Taranne allouait ordinairement pour un établissement de ce genre une pièce de cinq francs ainsi employée :

Éventaire d’osier qui s’attache à la ceinture 1 fr. 50 c.
Provisions suivant la saison. 5 50
Total 5 fr. » c.

Au printemps, l’éventaire se charge de bouquets, d’herbes nouvelles, de légumes, d’œufs frais ; en été, les premiers fruits, les groseilles vertes, les cerises, remplacent les fleurs ; en automne, les provisions consistent surtout en raisins, noix, poires, pommes et poissons ; en hiver, ce sont des citrons et des oranges.

Les marchandes qui arrivent à cesser d’être ambulantes, se fixent à la Halle, dans un marché, sur un pont, ou devant une salle de spectacle, Voici le matériel de ces établissemens à demeure :

Une table composée de deux tréteaux et d’une planche 2 fr. » c.
Une chaise. 1 »
Un baquet 1 »
Deux paniers 1 50
Carafes, bocaux, verres 5 »
Fournitures en orgeat, limonade, tisanne, fruits ou fleurs, etc. 5 »
Total 13 fr. 50 c.

Porteur d’eau. — Le porteur d’eau à la sangle n’a besoin d’aucune autorisation pour débiter. Il puise gratis aux fontaines publiques. Une clientelle de porteur d’eau se vend quelquefois jusqu’à cinquante francs. Le démissionnaire, avant de se retirer, se fait accompagner chez les habitués plusieurs jours de suite par son remplaçant, et le présente avec recommandation aux divers étages qu’il était en possession de fournir. Un porteur d’eau qui n’est pas aimé de ses confrères, qui fraude et passe avant son tour lorsqu’il veut emplir ses seaux aux fontaines, est infailliblement obligé d’abandonner le métier. L’invention d’un cri particulier, qui monte et se fasse reconnaitre aux fenêtres les plus élevées, malgré le bruit des rues, est l’une des premières difficultés qu’ait à vaincre un apprenti. Un fonds solide et complet coûte dix francs.

Deux seaux 6 fr. » c.
Une bricole 2 50
Un cerceau 1 50
Total 10 fr. » c.

Le porteur d’eau au tonneau est assujetti à plusieurs formalités. Il doit obtenir une permission du commissaire de son quartier, qui ne l’accorde que sur le témoignage de deux citoyens patentés. Muni du certificat du commissaire, il va chercher à la Préfecture de Police une petite carte ou permis, qui coûte 25 centimes. Il est ensuite obligé de se rendre à un bureau spécial, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, pour y faire mesurer son tonneau, sur lequel on marque le numéro de la quantité d’eau qui peut y être contenue. Cette formalité coûte 2 francs. Il va de nouveau à la Préfecture de Police pour faire inscrire le numéro du tonneau ; nouvelle formalité qui coûte 1 franc. Enfin il ne lui reste plus qu’à obtenir aux Pompes de son quartier l’autorisation d’y puiser, moyennant un droit de 4 et de 5 sous, suivant que son tonneau contient 10 ou 14 voies. Le terme moyen du gain de la journée d’un porteur d’eau (au tonneau à bras), paraît être de 4 à 5 francs ; quelques uns de ces établissemens rapportent aux entrepreneurs jusqu’à 6 000 fr. par an.

Une mesure de police oblige les porteurs à conserver leurs tonneaux pleins pendant la nuit, et à déclarer l’endroit où ils sont déposés. C’est une précaution contre les incendies. L’amende, en cas de contravention, est, pour la première fois, de 15 francs.

Un tonneau coûte environ 110 francs ; les antres frais sont les mêmes que ceux du porteur à sangle, sauf le couvercle, qui coûte 75 centimes, et les frais d’autorisation, qui montent à 5 francs 50 centimes.

Décrotteur. — La concurrence et les établissemens fixes ont paru menacer quelque temps le métier d’une ruine