Page:Magasin pittoresque 1.djvu/72

Cette page n’a pas encore été corrigée


un glorieux triomphe, ont déroulé dans de beaux salons le tableau de ses précieuses qualités, et sont enfin parvenns à en faire le complément obligé de toute réunion de jeu, de musique, ou de simple causerie. Le thé, plante merveilleuse, a commencé la conquête du monde, et il l’achèvera ; long-temps retenu dans les salons bourgeois, il en sort maintenant et se popularise.


(Feuilles et fleurs du Thé.)


Faire ici le décompte de ses nombreuses propriétés, de ses vertus souveraines, ce serait s’engager dans une trop longue nomenclature. Il suffira de savoir qu’en 1666, 30 juillet, la compagnie des Indes en Angleterre mentionne dans ses voyages l’achat de 22 livres et demie de thé, au prix de 36 livres sterling (environ 900 fr.), pour en composer un présent agréable au roi ; qu’en 1674, elle en achète encore 55 livres pour cadeaux, et qu’aujourd’hui, en Angleterre seulement, il s’en consomme plus de 50 millions de livres.

D’après le baron de Zach, Adam Smith, célèbre économiste anglais, a calculé, à une époque où il ne s’en consommait guère que 25 millions, la quantité de vaches qu’il faudrait pour remplacer le thé par du lait, et il a trouvé un total de 500 000, qui exigeraient pour leur entretien environ un million d’hectares de terrain.

En France, le goût du thé s’est surtout répandu dans la bourgeoisie depuis 1814 ; jusqu’alors il n’était guère sorti de quelques salons un peu élevés, sauf dans certaines villes telles que Bordeaux, par exemple, où les mœurs françaises sont profondément empreintes des habitudes étrangères, anglaises et hollandaises,

En Hollande, il se boit des quantités prodigieuses de thé ; c’est même dans cette contrée qu’on a commencé à en introduire la consommation. Quelques écrivains de mœurs ont prétendu, dit encore le baron de Zach, que l’usage du thé, en ce pays, était la cause indirecte des visages larges et joufflus qu’on appelle des patapoufs. Les dames qui préparent cette boisson se trouvent devant des bouilloires toujours fort propres, et luisantes comme des miroirs ; leurs visages sont ainsi constamment défigurés par la forme arrondie des vases, et ce serait de l’impression continue produite par ces images grotesques que résultent les faces bouffies de leurs enfans.

Sans admettre précisément cette explication des patapoufs, on pourrait, en quittant le ton de plaisanterie, se demander sérieusement quelle influence réciproque a pu exercer sur la constitution physique des hommes, l’échange des produits étrangers.

À qui sera-t-il donné de pénétrer le mystère de ces relations, et de montrer la communauté lente et secrète qui s’établit au moyen des alimens et des boissons transportés à plusieurs milliers de lieues du sol qui les fournit ?

Tandis que nos vins, nos étoffes, nos livres vont atteindre le sauvage jusqu’aux confins de la civilisation, nous nous enivrons du tabac de Virginie, nous adoucissons nos mets avec le sucre des Antilles, et nous les relevons avec les épices des Moluques ; nous savourons lentement le parfum excitant du café d’Arabie, ou bien nous aspirons à diverses reprises des grandes lampées d’eau imprégnées de quelques particules de thé. Ne serait-il pas possible, au milieu de ces jouissances, de ramener parfois le souvenir sur Les contrées qui nous les fournissent, sur les hommes éloignés qui les ont préparées, sur les moyens de transport qui les ont déposées sur notre table ? Sans doute en trouverait là, de temps à autre, le sujet de quelques bonnes paroles, et peut-être d’un joli chant.

La fleur du thé est blanche, et offre quelque ressemblance avec la rose sauvage de nos haies. On fait pendant l’année plusieurs récoltes des feuilles, communément trois ; les premières cueillettes jouissent du parfum le plus délicat et le plus aromatique. Il en est dés thés en Chine, comme des vins en France : leur qualité est classée par cantons.

Le fait Le plus essentiel de la préparation des feuilles consiste à les rouler en les desséchant sur des plaques de fer échauffées ; on leur fait perdre ainsi un suc nuisible. Cette opération est extrêmement douloureuse pour les mains des pauvres préparateurs qui sont brûlées par la chaleur des feuilles. Toujours il faut qu’il y ait travail et souffrance pour préparer même les moindres plaisirs.

Le thé nouveau est considéré par les Chinois comme un puissant narcotique, aussi ne le font-ils entrer dans la circulation qu’un an après la récolte. Le thé venu par terre, appelé thé de caravane, passe pour être meilleur que celui qui a traversé les mers.

Il n’y a réellement que deux espèces de thé, le thé vert et le thé noir, ou thé bou, qui se subdivisent chacune en plusieurs variétés. Nous n’entrerons pas dans le détail de leur nomenclature, nous nous contenterons de dire que le thé vert agit plus activement que le thé noir sur les personnes nerveuses. Le thé le plus convenable à la santé et au goût général, doit être mélangé des deux espèces, suivant une proportion qui varie en raison des individus. Quelques personnes ont cru que le vert acquérait sa couleur parce qu’il était desséché et roulé sur des plaques de cuivre ; mais cette opération, qui tendrait à jeter de la défaveur sur le thé vert, est entièrement fausse ; les analyses les plus exactes n’y ont jamais fait découvrir la moindre particule de cuivre.


(Récolte du Thé.)


Les Européens qui font le commerce du thé ont recours, pour leurs transactions avec les Chinois, à des experts de cette nation, qui ont la faculté de distinguer les diverses qualités des feuilles par la teinte de l’infusion. Voici une anecdote curieuse que raconte à ce sujet le capitaine Blanchard, dans son Manuel du commerce de la Chine (1806).

« Je voulus m’’assurer du savoir de mon connaisseur. Nous avions mis ensemble de l’eau bouillante sur quatre différentes montres de thé qui me paraissaient également