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moins parce qu’ils sont célibataires que parce qu’ils ne produisent rien. Le législateur qui, par des mesures habilement combinées, augmente le revenu social, favorise plus l’accroissement de la population que ne pouvaient le faire les honneurs rendus par les Romains aux chefs des nombreuses familles, ou les pensions de 1 000 et 2 000 francs accordées par Colbert, dans l’édit de 1666, à ceux qui avaient dix et douze enfans.

La science ne dément pas le proverbe vulgaire : À côté d’un pain il naît un homme. L’accroissement de population ne peut être quelquefois nuisible qu’autant qu’il résulte de l’augmentation des naissances seulement, sans que la vie moyenne devienne plus longue, par conséquent sans qu’une plus grande somme de travail s’ensuive ; si Malthus avait remarqué cela, il n’aurait pas fait un cercle vicieux en avançant que la population, qui est la cause évidente de tout travail, de toute richesse et de tous moyens d’existence, doit être arrêtée dans sa marche croissante,

Lorsque les maladies seront mieux soignées, que la mendicité sous toutes les formes disparaîtra, que l’oisiveté sera diminuée, que l’instruction sera généralement répandue, la population pourra s’accroître sans danger pour son existence. La terre n’est point ingrate, elle rend avec usure ce qu’on lui a confié ; elle prodigue ses bienfaits à ceux qui lui donnent leurs soins. Les plaines fertiles ne se changent en marais mortels que lorsqu’après avoir été dépeuplées, elles ne sont plus cultivées. Rome fit venir les blés de l’Afrique et de la Sicile quand ses citoyens, renonçant au travail et à ses produits, ornèrent les champs labourés par Cincinnatus de palais somptueux et d’élégans ombrages. L’Espagne, si florissante sous les Maures, devint pauvre lorsque ses moines et ses galions d’Amérique lui firent négliger ses fabriques et son agriculture.





Moyen de guérir les antipathies. — Il arrive souvent qu’une personne vous inspire une antipathie, c’est-à-dire un sentiment de répugnance ou même une sourde inimitié qui vous rend sa présence pénible. Il faut se guérir d’une semblable disposition, car, dans l’intérêt de son propre bonheur, chacun doit chercher à aimer tout le monde, ou du moins à ne voir personne avec déplaisir, sans de justes motifs. Un savant très distingué de notre temps indiquait dernièrement un moyen de cure complète dont il avait fait l’épreuve sur lui-même : « Je rencontrais souvent à l’Académie, disait-il, un petit homme d’un visage ingrat, que je ne pouvais regarder sans qu’aussitôt tout mon corps ne fût agité d’une inquiétude douloureuse : j’étais obligé de lui tourner le dos ou de baisser les yeux pour qu’il ne s’aperçût point de la mauvaise impression qu’il faisait sur moi. La situation devenait chaque jour de plus en plus insupportable, car il venait assidûment à la Bibliothèque, et semblait me chercher avec l’empressement que j’aurais voulu mettre moi-même à le fuir. À la fin, songeant un matin dans mon lit, je jetai un cri de joie : j’avais trouvé un expédient qui devait chasser mon antipathie, et, dans le cours de la semaine, je l’exécutai avec succès. Je parvins à rendre un service à cet homme, peu de chose à la vérité, mais il fut obligé de m’exprimer sa reconnaissance. Son visage alors me parut beau et aimable : depuis ce temps, je ne le vois jamais venir à moi sans un sentiment de plaisir. »




Cosmopolitisme de la langue française. — La langue française était européenne bien avant Louis XIV. Le frère Martin de Canal, moine italien du XIIIe siècle, écrivait en français l’histoire de son pays, « parce que, disait-il, a langue françoise coroit parmi le monde, et étoit plus dilettable à lire et à oïr que nulle autre. » (Voir Ciraboschi,. Storia della letterat. ital., tome IV, liv. III, chap. 1er.)




Il arrive souvent qu’on prend, pour prouver certaines choses, des exemples qui sont tels, qu’on pourrait prendre ces choses pour prouver ces exemples : ce qui ne laisse pas de faire son effet ; car, comme on croit toujours que la difficulté est à ce qu’on veut prouver, on trouve les exemples plus clairs. Ainsi quand on veut montrer une chose générale, on donne la règle particulière d’un cas : mais si l’on veut montrer un cas particulier, on commence par la règle générale.

Pascal, Pensées.




L’histoire est le trésor de la vie humaine. Imaginez en quelle horreur de ténèbres et quelle fondrière d’ignorance bestiale et pestilente nous serions abysmez, si la souvenance de tout ce qui s’est faict ou est advenu avant que nous fussions nez, estoit entièrement abolie et esteincte !

Amyot.




L’égoïsme est une sorte de vampire qui veut nourrir son existence de l’existence des autres.

Ballanche




LE ZÈBRE.


Cet animal de l’Afrique méridionale tient, en quelque sorte, le milieu entre le cheval et l’âne, si l’on ne fait attention qu’à la taille et à la beauté des formes ; mais il a reçu de la nature des ornemens encore plus remarquables. « Le zèbre, dit Buffon, est peut-être de tous les animaux quadrupèdes le mieux fait et le plus élégamment vêtu. Il a la figure et les grâces du cheval, la légèreté du cerf, et la robe rayée de rubans noirs et blancs, disposés alternativement avec tant de régularité et de symétrie, qu’il semble que la nature ait employé la règle et le compas pour la peindre. » Si cette magnifique espèce pouvait renoncer à son indépendance, et se soumettre au joug de la domesticité, elle serait pour l’homme une des plus précieuses acquisitions qu’il pût faire. Le zèbre est, dit-on, aussi sobre que l’âne, vit d’herbes sèches et dures que les chevaux refusent de manger. Il est plus robuste que le cheval, dont il égale et surpasse même la vitesse. Mais pourra-t-on vaincre ses inclinations sauvages et vagabondes, son caractère irritable, opiniâtre, impatient de toute contrainte ? c’est ce que l’on saura lorsque la Société zoologique de l’Angleterre aura terminé les expériences qu’elle fait en ce moment dans son établissement rural de Kingston. Parmi les zèbres actuellement soumis à ses épreuves, quelques uns sont nés en Angleterre, et seront peut-être moins indociles que les individus pris dans les déserts de l’Afrique. Mais il paraît que la contrainte est extrêmement nuisible à ces animaux, et sera peut-être un obstacle au développement de leurs facultés, car elle agit très sensiblement sur leur croissance. Un jeune zèbre mâle, né dans la Ménagerie, séparé de sa mère dès sa naissance, nourri avec du lait de vache, retenu dans un espace étroit, et privé de l’exercice qui est sans doute pour son espèce un besoin impérieux, est resté d’une petitesse étrange, et, selon toute apparence, sa stature est actuellement fixée à cette limite,

Il semble que les essais pour amener cette espèce à l’état de domesticité devraient être faits en Afrique ; mais surtout il faut qu’une grande prudence les dirige, que l’on sache attendre et faire un bon emploi du temps. Au cap de Bonne-Espérance, quelques colons hollandais avaient voulu jouir trop tôt d’un attelage de zèbres ; ils eurent à s’en re-