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vres fanatiques, se dévouant pour obtenir ce sourire de leur horrible dieu, se précipitent sous les roues : quelques uns se bornent à faire fracasser leurs bras et leurs jambes ; mais les plus saints se sacrifient.

Un Anglais, Buchanan, qui fit en 1800 le pèlerinage de Jaggatnatha, y fut témoin de ces sacrifices ; il vit un Hindou s’étendre le visage contre terre, les mains alongées en avant, sur le passage de la tour ; son corps écrasé demeura long-temps dans l’ornière exposé aux regards des spectateurs. Quelques pas plus loin une femme se sacrifia aussi ; mais, par un raffinement d’expiation, voulant savourer la mort, elle se plaça dans une situation oblique, de manière à n’être qu’à demi écrasée, et à survivre de quelques heures dans les plus cruelles souffrances.

Une foule d’autres dévots, moins zélés, se contentent d’expier leurs péchés par des tortures qui n’entraînent généralement pas la mort du patient. Les uns se précipitent sur des matelas de paille garnis de lances, de sabres et de couteaux ; d’autres se font attacher à l’extrémité d’un balancier, au moyen de deux crochets de fer qu’on leur enfonce dans l’omoplate, et, bientôt enlevés à trente pieds de hauteur, reçoivent un mouvement de rotation d’une rapidité excessive, pendant lequel il jettent des fleurs sur les assistans. Ceux-ci ne restent pas oisifs, et se livrent à mille petites expiations, qui sont considérées comme de simples gentillesses : tantôt ils se passent des tuyaux de pipe dans les bras et dans les épaules ; tantôt ils se font sur la poitrine, sur le dos et sur le front, cent vingt blessures (nombre consacré) ; l’un se perce la langue avec une pointe de fer, cet autre la fend avec un sabre.

Au milieu de ces scènes d’horreur, il est un fait cependant sur lequel on aime à se reposer : on voit les membres de la caste orgueilleuse des brahmes se prosterner devant l’idole, la tête découverte, en se mêlant sans scrupule avec les artisans, les ouvriers, les serviteurs, qui forment une caste impure. « Le dieu de Jaggatnatha est si grand, disent-ils, que tous sont égaux devant lui : distinction de rang, dignité, talent, naissance, tout disparaît, tout s’efface dans son immensité. »

Ainsi, dans le chaos de ces superstitions orientales, on voit poindre quelques lueurs des principes dont l’évangile de Jésus-Christ a éclairé l’Occident.




PROGRÈS DES MESSAGERIES EN FRANCE.


Il paraît que ce fut sous le règne de Charles IX que l’usage des coches ou voitures publiques s’établit à Paris. Les loueurs de coches prenaient des permissions du roi, afin de n’être point inquiétés par les messagers de l’Université ou par les maîtres de poste.

En 1575, Henri III révoqua toutes les commissions octroyées pour mener coches, et permit à Philibert de Cardaillac, sieur de Capelle, sénéchal de Quercy, de nommer telles personnes qu’il jugerait à propos pour la conduite des voilures de Paris, Orléans, Troyes, Rouen et Beauvais.

En 1594, les besoins du commerce ayant donné plus de développement à ces entreprises, Henri IV créa l’office de commissaire-général et surintendant des coches publics du royaume, dont Pierre Thireul fut le premier titulaire.

En 1676, Louis XIV ordonna le remboursement de leurs finances aux propriétaires des différentes messageries, et subrogea aux baux de celles qui appartenaient à l’Université le fermier-général des postes de France. Depuis ce temps, les voitures publiques furent décorées du titre de messageries royales.

En 1678, une ordonnance détermina les fonctions des messagers, maîtres de coches et carrosses voituriers, rouleurs et autres : elle exempta les fermiers et commis des messageries du logement des gens de guerre, de la collecte des deniers royaux, du guet et de la garde des portes, de tutelle, de curatelle, etc., etc.

En 1681, nouvelle ordonnance, qui leur permet de porter épée et autres armes, les dispense des corvées et de la milice, défend aux officiers des élections et greniers à sel, habitans des villes et paroisses, assesseurs et collecteurs, de les comprendre dans leurs rôles de taxes.

En 1775, Louis XVI, sur le rapport de Turgot, sépara les messageries et diligences de la ferme générale des postes. « Sa Majesté ayant reconnu, dit le préambule de l’arrêt du conseil-d’état, que le mode de regie adopté soumet ses peuples à un privilége exclusif, a résolu de faire rentrer dans sa main tant lesdits droits de carrosses, que les messageries qui font partie du bail général des postes, pour former une seule administration royale. » Turgot ayant réini à cette administration les priviléges des diligences et coches d’eau sur les rivières et sur les canaux du royaume, organisa une vaste exploitation, qui devait par la suite desservir toutes les provinces. Le prix des places dans les anciens carrosses était, depuis plus de cent ans, de dix sous par lieue ; il fut porté à treize. On estime que le gouvernement retirait alors annuellement 900 000 livres de ce service public.

En 1789, les messageries rapportaient à l’Etat 1 100 000 livres ; elles faisaient quinze lieues en vingt-quatre heures ; le prix des places était d’un franc par lieue, et les voyageurs au nombre de huit dans les voitures de la plus grande dimension.

Par suite de la révolution et des victoires de l’empire, cette industrie reçut une telle impulsion, qu’en moins de quarante ans, et affranchie du monopole, elle a fait plus de progrès que dans les trois siècles précédens. On peut s’en convaincre par le tableau suivant, où l’on remarque avec satisfaction que, malgré les nombreuses améliorations apportées dans le transport des voyageurs et des effets, malgré l’accroissement du prix des fourrages, des chevaux et de la journée, les messageries ont réalisé une baisse considérable dans le prix des voyages.

Années. Nombre de voyageurs par voiture de la plus grande dimension. Prix des places par lieue. Durée, en minutes, du voyage par lieue. Prix du transport des marchandises pour 100 kil. et pour 100 lieues. Quantité de lieues parcourues en 24 heures. Nombre de voitures partant de Paris à heures fixes par jour. Nombre de voyageurs qu’elles reçoivent par jour. Quantité de marchandises qu’elles chargent par jour sur la totalité des voitures.
1810 11 75 c. 45 m. 80 fr. 30 30 280 21,000 kil.
1815 15 70 40 70 40 40 400 28,000
1820 18 65 30 60 48 60 720 59,000
1825 18 60 30 40 48 65 800 42,250
1827 18 28 30 40 57 70 908 45,500
1832 18 45 26 40 57 70 900 45,500

Cette industrie, qui en 1775 produisait à peine pour l’État 900 000 livres, paie aujourd’hui 12 000 000 d’impôts, dont les élablissemens de Paris fournissent le tiers. Recevant des voyageurs, chaque année, une somme de 43 à 50 000 000 de francs, elle entretient sur tous les points de la France un mouvement de fonds de plus de 100 000 000 f., et les entrepreneurs de messageries, dans un mémoire qui vient de paraître, calculent que les diligences ne doivent être comptées que pour un quarantième dans la détérioration de nos chaussées. Repoussant le reproche qu’on leur adresse de verser souvent en route, ils affirment que ces