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à l’Institut, dispersent journellement leur argent et leur menue science pour en avoir la monnaie en or ou en théories générales, et ainsi des autres.

La demande de l’écolier est donc dans la bouche de tout le monde ; mais tout le monde n’a pas un royaume en capital, un coffre-fort, ni un arsenal scientifique ; nombre de gens n’ont que deux sous, comme l’écolier, et, comme l’écolier, seraient repoussés par tous ceux auxquels ils adresseraient leur naïve question : c’est pour ceux-là qu’est ouvert notre Magasin. Avec deux sous (pourquoi le timbre nous force-t-il à dire aussi avec trois sous ?) ils y trouveront à choisir beaucoup de choses qui sont dans de gros livres, et qui leur coûteraient six francs.

Tel qui bâtirait un Panthéon n’a jamais vu que l’église de son village ; tel qui deviendrait amiral ne connaît pas même un étang ; tel qui ferait des fermes-modèles n’est jamais sorti des murs de Paris. Dans notre Magasin à deux sous, nous enfermerons tout ce qui est capable de piquer la curiosité, et nous ferons ainsi promener parmi les faits les plus pittoresques ceux qui savent peu de choses et n’ont que les menus plaisirs à deux et trois sous. S’ils y font la conquête d’une idée qui développe leur imagination ; s’ils découvrent dans les tableaux variés qui leur sont mis sous les yeux quelque fait original et saillant, quelque sentiment capable de réveiller chez eux un goût naturel, et de les arracher à l’ornière habituelle de leur vie monotone, c’est une carrière nouvelle qu’ils se seront ouverte ; et, sans faire tort à personne, ils auront changé leurs deux sous en monnaie de six francs.




PROCÈS, CONDAMNATIONS, EXCOMMUNICATIONS CONTRE DES ANIMAUX.

Il fut un temps en France où des tribunaux prononçaient des condamnations contre des animaux prévenus de certains délits, et où l’autorité ecclésiastique lançait les foudres de l’excommunication contre des insectes nuisibles. Cet usage de la justice divine et humaine a paru si monstrueux aux générations nouvelles, qu’elles n’ont point voulu d’abord y ajouter foi ; mais des documens authentiques ne permettent plus de conserver aucun doute. Ainsi, plusieurs manuscrits conservés à la Bibliothèque royale ou possédés par des savans, contiennent les dispositifs de ces jugemens, et jusqu’aux mémoires de frais et dépenses faits pour l’exécution des sentences prononcées. Pendant une assez longue période du moyen âge, la pensée de soumettre à l’action de la justice tous les faits condamnables, de quelque être qu’ils provinssent, loin d’être ridicule, a été généralement répandue.

Chassanée, célèbre jurisconsulte du xvie siècle, a composé plusieurs conseils ; et dans le premier, après avoir examiné les moyens de citer en justice certains animaux, il recherche qui peut légalement les défendre, et devant quel juge ils doivent être amenés.

L’extrait suivant donne, avec l’indication des écrivains qui sont nos autorités, l’époque des procès et jugemens prononcés dans les affaires les plus singulières, le nom des animaux, le motif qui les a fait traduire eu justice, ainsi que la date de plusieurs anathèmes ecclésiastiques.

1120. — Mulots et chenilles excommuniés par l’évêque de Laon. (Sainte-Foix.)

1386. — Truie mutilée à la jambe, à la tête, et pendue, pour avoir déchiré et tué un enfant, suivant sentence du juge de Falaise. (Statistique de Falaise.)

1394. — Porc pendu pour avoir meurtri et tué un enfant, en la paroisse de Roumaigne, vicomté de Mortaing. (Sentence manuscrite.)

1474. — Coq condamné à être brûlé, par sentence du magistrat de Bâle, pour avoir fait un œuf. (Promenade à Bâle.)

1488. — Becmares (sorte de charançons) : les grands-vicaires d’Autun mandent aux curés des paroisses environnantes de leur enjoindre, pendant les offices et les processions, de cesser leurs ravages et de les excommunier. (Chassanée.)

1499. — Taureau condamné à la potence, par jugement du bailliage de l’abbaye de Beaupré (Beauvais), pour avoir, en fureur, occis un jeune garçon. (DD. Durand et Martenne.)

Commencement du XVIe siècle. — Sentence de l’Official contre les becmares et les sauterelles qui désolaient le territoire de Millière (Cotentin). (Théoph. Rainaud.)

1554. — Sangsues excommuniées par l’évêque de Lauzanne, parce qu’elles détruisaient les poissons. (Aldrorande.)

1585. — Le grand-vicaire de Valence fait citer les chenilles devant lui, leur donne un procureur pour se défendre, et finalement les condamne à quitter le diocèse. (Chorier.)

1690. — En Auvergne, le juge d’un canton nomme aux chenilles un curateur ; la cause est contradictoirement plaidée. Il leur est enjoint de se retirer dans un petit terrain (indiqué par l’arrêt) pour y finir leur misérable vie. (Description de la France.)

Un relevé de ces jugemens, présenté à la Société royale des Antiquaires par M. Berriat Saint-Prix, en élève le nombre à près de quatre-vingt-dix, dont trente-sept appartiennent au XVIIe siècle ; et un seul a été rendu dans le siècle suivant, en 1741, contre une vache.




NICOLAS POUSSIN.


SA VIE. — MAISON QU’IL HABITAIT AU MILIEU DU JARDIN DES TUILERIES. — SES TABLEAUX AU MUSÉE DU LOUVRE. — EXTRAIT DE SES LETTRES. — SES RÉFLEXIONS SUR LA PEINTURE.

Nicolas Poussin est né aux Andelys, en Normandie. Il fut dirigé dans ses premières études de peinture par Varin, peintre assez habile. À dix-huit ans il sortit de la maison paternelle, et vint à Paris pour mieux étudier un art dont il reconnaissait déjà les difficultés, mais qu’il aimait avec passion.

Un jeune seigneur du Poitou l’accueillit chez lui. Après avoir changé de maître deux fois, il fil connaissance avec quelques personnes qui lui prêtèrent plusieurs estampes de Raphaël et de Jules Romain. Il prit la résolution de partir pour Rome ; mais son voyage fut interrompu à Florence par quelque accident. Un second projet de voyage ayant encore échoué, il se remit à l’œuvre : et déjà, en 1623, lorsque les jésuites de Paris célébrèrent la canonisation de saint Ignace et de saint François Xavier, et que les écoliers de leur collége, pour rendre cette cérémonie plus solennelle, voulurent faire peindre les miracles de ces deux saints, le Poussin fut choisi pour faire six tableaux en détrempe. Il avait une si grande pratique dans ce genre de travail, qu’il ne fut guère plus de six jours à les faire. Ses tableaux furent plus estimés que ceux de tous les autres peintres qui avaient aussi travaillé pour l’ornement de cette fête.

Une troisième fois il partit pour Rome, et y arriva enfin au printemps de l’année 1624. Il y fit en peu de temps de rapides progrès, et son nom devint bientôt célèbre en Europe. M. Desnoyers, secrétaire d’État et surintendant des bâtimens de Louis XIII, résolut de le faire revenir à Paris.

Après plusieurs hésitations, Poussin fut obligé de céder aux ordres du roi et aux invitations pressantes du surintendant.

À son arrivée, il fut présenté au cardinal de Richelieu, qui le reçut avec un air fort engageant. On le conduisit ensuite dans un logis qu’on lui avait destiné dans le jardin des Tuileries.

Voici ce que Nicolas Poussin écrivit à cette époque à Carlo