Page:Magasin pittoresque 1.djvu/28

Cette page n’a pas encore été corrigée


des Ménage, des Monlfleury, aux dédains ignorans des marquis, et aux calomnies infâmes des faux dévots ; lorsque l’on réfléchit surtout qu’il eut le malheur d’épouser une femme coquette, légère, incapable de comprendre ce qu’il y avait de sensibilité et de délicatesse sous ce regard fort et pénétrant, et ce qu’elle devait de respect à son génie.


(Molière.)


Mais on est satisfait de retrouver sous ce voile de mélancolie le sentiment de bienveillance et de bonté qui était empreint dans toute sa conduite, soit quand il encourageait de son argent et de ses conseils Racine jeune et inconnu, quand il obligeait si ingénieusement ses camarades malheureux à recevoir ses secours, soit quand il refusait une place à l’Académie, parce que son talent d’acteur et sa direction importaient à l’existence de sa troupe, soit aussi lorsqu’à force de bienfaits il faisait oublier les anathèmes religieux prodigués contre sa profession à ces pauvres sœurs de la charité, qui ne lui manquèrent pas à sa dernière heure, et, penchées vers lui, encore à moitié déguisé sous son costume d’Argan, reçurent avec douleur son dernier soupir.

Volontiers, à le voir ainsi distrait, on serait tenté de lui demander ce qu’il pensait tandis qu’il abandonnait complaisamment ses traits au pinceau de son ami, et quels secrets mystères du cœur sa puissante rêverie poursuivait en silence. Étaient-ce, par hasard, les malencontreuses vanités de ces bourgeois honteux de leur franche et honnête roture, ignorant la pente où se précipitait la noblesse, et descendant en croyant monter ? M. Jourdain, l’infortuné Georges Dandin, mesdemoiselles Gorgibus ? Étaient-ce les conseils intéressés de l’orfèvre Josse, les angoisses et les ruses maladroites de l’Avare, l’honnête indignation d’Alceste, les prétentions de Trissotin, ou la singulière contrainte de cet imprudent créancier de don Juan, M. Dimanche ? ou plutôt, méditait-il d’exposer sur la scène, pour lui imprimer au front son éternelle sentence de réprobation, le plus détestable et le plus dangereux des vices, l’hypocrisie religieuse ? C’est un évènement rare que l’apparition de ces génies dont on ne peut prononcer le nom sans qu’aussitôt l’imagination se peuple de mille personnages vivans, animés, jouant avec une admirable précision toutes les aventures du grand drame de la vie.

Chaque siècle a des généraux habiles à battre en ruine des forteresses ou à vaincre des armées, des savans d’une vaste et silencieuse patience, des philosophes d’une étrange vigueur d’abstraction ; mais il semble que ce serait trop pour un siècle d’un de ces talens privilégiés qui savent enseigner la vérité, la vertu, en faisant épanouir les visages et battre les cœurs de joie, de même que ce serait trop sans doute pour chaque jour d’avoir une seule heure de plaisir sans mélange et de bonne et digne gaieté.

À la vérité, les génies du genre comique, Cervantes, l’Arioste, Shakspeare, Molière, Le Sage, Fielding, exercent une influence qui s’altère difficilement, et qui semble plus durable, plus étendue, parce qu’elle se mêle plus intimement à tontes les circonstances de la vie ordinaire, et qu’elle est aisément sentie par le grand nombre des hommes.

Ainsi plus de deux cents ans se sont écoulés depuis la naissance de Molière (15 janvier 1622) ; et malgré la différence du langage et du style qu’il a contribué à former, malgré la différence des vices et des mœurs qu’il a contribué à reformer, ses comédies sont toujours le plus riche attrait de notre théâtre.

Les moins lettrés d’entre les classes laborieuses savent sa réputation, et se servent énergiquement de ceux d’entre les noms de ses personnages qui sont devenus des types de caractères. Les passans s’arrêtent et montrent dans la rue des Piliers-des-Halles la maison où l’on a cru long-temps qu’il était né. Malheureusement cette maison a été rebâtie plusieurs fois depuis cent ans, et dernièrement encore une nouvelle reconstruction en a été faite sous la direction de l’architecte Périaux, qui, respectant la tradition populaire, a décoré la façade d’un buste et d’une inscription.

Les autres maisons que Molière a habitées, celles de la rue Saint-Honoré, vis-à-vis le Palais-Royal, de la rue Saint-Thomas du Louvre, et celle de la rue Richelieu, no 38, où il mourut, ne conservent pas davantage de traces de leur ancienne apparence. La pierre tumulaire que sa veuve avait fait placer sur la fosse du cimetière Saint-Joseph, où il fut enterré aux flambeaux le soir du 21 février 1673, n’existe plus. Il est même incertain si ce sont réellement ses dépouilles funèbres qui, transportées, le 7 mai 1799, par les soins de


(Tombeau de Molière.)


M. Alexandre Lenoir, au Musée des Petits-Augustins, ont été depuis déposées au cimetière du Père-Lachaise, près de la tombe de La Fontaine, sous le petit monument dont nous donnons le dessin.




LES BUREAUX D’ABONNEMENT ET DE VENTE

sont rue du Colombier, no 30, près de la rue des Petits-Augustins.




Imprimerie de Lachevardiere, rue du Colombier, no 30.