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d’y faire promptement et sûrement arriver des secours, la pyramide vomissant déjà de toutes parts de longs jets de flammes parmi des tourbillons de fumée que l’oxide des plombs en fusion colorait d’un vert livide ; tout forçait les assistans à rester, malgré leur vive impatience, spectateurs oisifs de ce déplorable évènement.

À sept heures, la flèche entière, longue de cent huit pieds, se renversa vers le sud-ouest, point de son inclinaison naturelle, et, s’arrachant de sa base, tomba sur l’angle de la tour de la Calende, y resta suspendue deux ou trois secondes, puis écrasa une maison de fond en comble avec un fracas épouvantable.

L’incendie présentait alors le plus formidable spectacle, car, à peine cette partie culminante de la pyramide était-elle tombée, que, dégagées d’un obstacle qui réprimait aussi l’action de l’air, les flammes se déployèrent avec la plus grande fureur ; les galeries se déchirèrent, les colonnes armées de fer, les arcades tout entières se détachèrent de toutes parts, l’œil s’égarait dans leurs traces enflammées ; les voûtes du temple, accablées sous cette grêle horrible, simulaient par leurs mugissemens redoublés le bruit d’une violente canonnade. Entre huit et neuf heures enfin, il ne restait plus rien au-dessus de la tour de pierre qu’un immense bûcher, au milieu duquel bouillonnaient des torrens de métal que les gargouilles vomissaient en ardentes cascades.

Les débris enflammés de la pyramide, qui s’étaient dans leur chute arrêtés sur les galeries et sur les combles de la croisée, avaient propagé l’incendie vers les autres points de ce grand monument, et les flammes dévoraient avec une telle activité les charpentes des combles, que, vers neuf heures, le toit tout entier du chœur et ceux de la croisée s’écroulèrent avec le tiers de celui de la nef.

Le pinceau le plus exercé ne rendrait que faiblement les effets terribles dont la principale crise de ce nouvel embrasement fut accompagnée. Dès que le toit du rond-point se fut écroulé sur son centre, une gerbe de flammes dont la base occupait tout le diamètre des voûtes, jaillit dans les airs à une hauteur prodigieuse, à travers une immense colonne de fumée qui s’élevait vers le zénith en roulant des milliers de spirales des couleurs les plus variées. On y voyait tantôt confondus, tantôt successivement dominans, le vert, l’amaranthe, le jaune le plus brillant et le noir le plus sombre. Cet affreux et magnifique spectacle se détachait, ainsi que le foyer supérieur de la pyramide, sur un ciel d’un ton d’ardoise dont l’obscurité ajoutait à l’éclat pétillant des feux de l’incendie.

On ne parvint qu’après plusieurs jours à réprimer entièrement l’incendie et à assurer la conservation du corps mutilé d’un des plus beaux édifices gothiques de l’Europe.

Depuis cette catastrophe, la ville était en quelque sorte défigurée ; elle avait perdu un de ses traits les plus caractéristiques. La proposition de rétablir l’aiguille détruite a été adoptée par le conseil municipal, et M. Alavoine, architecte d’un talent très remarquable, a soumis un plan de reconstruction dont l’exécution est déjà très avancée. L’aiguille sera composée de pièces de fonte sorties des fourneaux de MM. Roi et Duval, à Conches (Eure), entre Breteuil et Évreux.




TEMPS EMPLOYÉ POUR PAYER LES IMPÔTS

EN ANGLETERRE ET EN FRANCE.


Le revenu total des Îles Britanniques, sans leurs colonies, est estimé à 8 milliards de francs par leurs économistes. Les impôts levés pour les besoins de l’État sont de 1 milliard 600[illisible] millions ; les taxes locales, en y comprenant celle des pauvres, se montent à 400 millions, ce qui fait 2 milliards que les contribuables anglais doivent fournir. Si un homme, même moyen, ne peut travailler que huit heures par jour en raison des maladies ou autres motifs, il en résulte que sur ces huit heures, deux lui sont nécessaires pour payer les contributions, puisqu’il donne le quart de son revenu au collecteur.

La France, qui produit annuellement 9 milliards, paye un budget de 1 milliard 200 millions, qui forme, avec 300 millions de taxes locales, un total de 1 500 millions. En supposant qu’un Français travaille autant qu’un Anglais, c’est-à-dire huit heures par jour, il n’a qu’un sixième de son temps, ou une heure et vingt minutes, journellement employé pour satisfaire le fisc.

Ainsi, pour acquitter les taxes, l’Anglais travaille deux heures, et le Français seulement un peu plus de moitié, ou une heure et vingt minutes.

Il est vrai que l’Angleterre a, pour payer des sommes si énormes, des facilités que nous n’avons pas. Elle fait un commerce considérable avec le monde entier, elle possède des colonies qui lui donnent de grands bénéfices ; elle connaît mieux que nous le système des banques et l’emploi des machines si favorables à la production ; mais il faut ajouter qu’elle entretient largement un clergé très dispendieux, et qu’elle est obligée de soutenir l’opulence de sa fastueuse aristocratie, qui, en se chargeant de la gouverner, ne lui rapporte probablement pas tout ce qu’elle lui coûte.




CRIME

INSPIRÉ PAR UN SENTIMENT DE CHARITÉ AU XIVe siècle.


On attribue le trait suivant à une princesse de Mahaut, comtesse d’Artois et de Bourgogne, qui mourut vers 1330, et qui s’occupa constamment des pauvres et des mendians avec une active sollicitude. Douée d’une sensibilité profonde, elle ne pouvait voir souffrir un malheureux sans chercher à le secourir. Plus d’une fois elle compromit sa fortune, et s’endetta pour distribuer des aumônes aux pauvres qui, de tous les points de la France, arrivaient pour prendre part à ses libéralités ; et à l’exemple du bon roi Robert, elle était toujours suivie par six ou sept cents mendians qu’elle nourrissait, qu’elle habillait, et qui l’accompagnaient dans tous ses voyages. Or, suivant l’historien Gellut, qui nous a conservé ces détails, « il plut à Dieu envoyer une très âpre famine en Bourgogne, de sorte que l’on entendait par les rues piteux plaincts, piteuses lamentations, et petits enfans crier : Je me meurs de faim. » L’hiver était d’ailleurs des plus rigoureux, et le froid faisait périr presque autant de pauvres que le défaut de nourriture. On conçoit sans peine combien le cortége ordinaire de la princesse de Mahaut avait dû augmenter. Plus d’un millier de mendians l’avaient accompagnée, cette année, au village de la Châtellenut, sur Artois, où elle faisait volontiers sa demeure ; et là, elle fournissait généreusement à tous leurs besoins. Mais quand toutes ses ressources furent épuisées ; quand elle se vit elle-même sur le point de manquer de pain ; quand il ne restait plus ni une pièce d’or dans ses coffres, ni un joyau dans son écrin ; après avoir versé d’abondantes larmes, voici le moyen dont elle s’avisa pour ne pas abandonner tant de malheureux au triste sort qui les attendait en temps de si grande et si étrange famine.

Un soir, elle les fit tous enserrer dans une de ses granges ; elle fit fermer les portes avec soin ; et quand elle jugea que tout le monde était bien endormi, elle ordonna que le feu fût mis en la grange, ce qui fut fait ainsi ; et pas un ne put échapper. L’historien, après avoir raconté ce fait, qui du reste ne paraît pas l’étonner, se borne à dire : « Ô cruelle pitié et douceur amère, qui porte avec soi la cruauté des plus barbares que l’on puisse trouver ! Ô miséricorde immiséricordieuse ! Seulement, il ne dit pas si la princesse de Mahaut avait à sa suite, l’année suivante, une aussi nombreuse clientelle.