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donc avant tout de la géologie, de l’histoire naturelle et de la géographie. On y joignit seulement quelques dictées et l’on s’en remit à la lecture d’enseigner à la fois l’histoire et le français, et surtout les idées humaines. Et l’on se promit de faire des merveilles quand on aurait le temps, c’est-à-dire l’hiver suivant.

Antoine alors étudia avec une nouvelle ardeur, et, si peu de temps qu’il eût à sa disposition, il rattrapa vite son petit professeur dans ces sciences qu’Édouard avait à peine ébauchées, mais que bientôt il aima beaucoup, et où, devenu l’émule de son élève, il fit avec lui d’assez grands progrès. Quant aux lectures historiques, chaque fois qu’Antoine en parlait, c’étaient des aperçus simples, mais heureux et vrais, qui faisaient réfléchir Édouard.

« Ainsi, disait-il parfois, monsieur Édouard, quand on pense que ce n’est pas pour avoir commencé les écoles que Charlemagne fut appelé grand, mais pour avoir tué beaucoup d’hommes et ravagé beaucoup de pays ! Et quand on voit que l’histoire, depuis son commencement jusqu’à présent, n’est pour ainsi dire qu’une grande tuerie, et qu’on enseigne encore les enfants à trouver ça beau, au lieu de le trouver criminel ! C’en est ça de la routine, et une triste ! Comment donc pourrait-on jamais devenir meilleur ? Est-ce pas le bon cœur et le bon sens qui manquent le plus dans le monde ? Dites, monsieur Édouard ? »

Et il ajoutait tristement :

« Voyez-vous, si les pauvres gens avaient été instruits, mais sérieusement, c’est-à-dire si on leur avait appris à réfléchir, ça n’aurait pas été comme ça.

De ces leçons, qu’il avait offertes à Antoine, résulta pour Édouard une grande leçon. Il apprit que les distinctions arbitraires sont impuissantes à créer parmi les hommes des supérieurs et des inférieurs, que les cœurs et les intelligences d’élite se trouvent aussi bien chez les pauvres et les ignorants ; il comprit la grandeur et la dignité attachées au seul vrai titre d’être humain. Plus tard, quand il entendit accuser avec mépris la sottise des masses, il se rappela les plaintes d’Antoine sur le manque d’instruction des travailleurs, et il répondit : « N’est-ce pas la justice des choses ? Comment ose-t-on se plaindre de leur aveuglement, quand on ne les a point éclairés ? »

Il y eut encore une autre vérité qu’apprit Édouard dans ses relations avec Antoine : c’est qu’il y a plusieurs sortes d’intelligences, mais que la plus grande et la seule utile et sûre est celle qui s’unit à la conscience. Il connut plus tard des hommes savants, éloquents, brillants en toutes choses, qu’on ne vit pas moins, en de graves circonstances, capables seulement de grandes faiblesses, de grandes lâchetés et de grandes bévues. Il pensait alors :

« Antoine, lui, n’est ni savant, ni éloquent, ni renommé ; il n’est que droit et sincère. Pourtant, à la place de ces illustres, il aurait eu, lui, le sens de ce qu’il fallait faire et l’eût fait, sans se laisser détourner du droit chemin par aucun intérêt ni aucun sophisme. »

Et il répétait ce mot du jeune paysan :

« Oui, peut-être est-ce le bon cœur et le bon sens qui manquent le plus en ce monde. »

En offrant des leçons à cet ignorant affamé d’apprendre, Édouard avait voulu partager ce qu’il possédait ; il reçut plus qu’il n’avait donné.

LUCIE B.

La suite prochainement.