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menace, il faut bien le dire. Il n’était pas de force à lutter contre ce jeune homme, et, bien qu’un pareil affront ne prouve rien, il est dur de le recevoir. Puis, Édouard n’avait-il pas tort ? Combien de victimes de ses plaisanteries eussent ri de bon cœur d’une telle aventure ? Le jeune X…, heureusement, se calma et renonça à faire un esclandre de mauvais goût ; mais Édouard eut en lui un ennemi prêt à le desservir en toute occasion, et dont la rencontre lui était toujours pénible.

Pourtant, il ne renonçait pas à ses habitudes moqueuses, et les rires approbateurs qu’excitaient ses plaisanteries lui étaient assez précieux pour compenser à ses yeux le malaise de sa conscience, qui l’avertissait du peu de moralité de sa conduite et des dangers auxquels elle l’exposait,.

Un jour d’été, Édouard se trouvait en visite à la campagne, près de Marly, Il y avait là, réunies, une vingtaine de personnes, toutes amies ou connaissances, et parmi elles M. D… qui, depuis l’aventure des pêches, avait pris Édouard fort en amitié. Il faisait chaud ; l’on s’était un peu débandé : les uns faisaient de la musique dans un pavillon ; les autres étaient allés chercher un peu de fraicheur sur une terrasse, ombragée de tilleuls, qui dominait la rivière, et au-dessous de laquelle . Serpentait une étroite allée de buis touffus. Édouard s’approchait de Ja terrasse, quand il vit sortir de l’allée des buis M. D…, qui, sans mot dire et en faisant le geste du silence, vint mystérieusement le prendre par la main, et l’amena doucement dans les buis. À peine Édouard avait-il fait quelques pas dans l’allée sombre, guidé par Ja main de son conducteur, qu’il entendit son nom, prononcé par les personnes qui causaient sur la terrasse ; dès lors, sa curiosité éveillée ouvrit largement l’oreille, et voici ce qu’il entendit :

« C’est dommage qu’il ait ce défaut.

— Oui, c’est un garçon intelligent, instruit, dit-on ; mais je conviens qu’il aime trop à faire de l’esprit aux dépens des autres.

— Oh ! qu’il soit ce qu’il voudra. Pour moi les plus belles qualités ne signifient rien quand on est méchant.

— Peut-être ne se rend-il pas compte.

— Oh madame ! allons donc ! puisque vous le dites intelligent. Non, l’on ne peut pas pardonner aux mauvais cœurs. Il a bien eu le courage de plaisanter sur l’infirmité de la petite Berthe M…, qui a les reins faibles et se balance en marchant. La pauvre petite en a pleuré.

— Pour cela, c’est très-mal, je l’avoue. Oui, il est certain qu’être moqueur, c’est toujours être un peu méchant.

— Vous voulez dire beaucoup.

— Je ne suis pas si sévère que vous. J’aime la mère d’Édouard, qui aime beaucoup son enfant, et je sais qu’à bien des égards il n’est pas indigne de cette affection. Je regrette qu’il se fasse ainsi des ennemis.

— Des ennemis ! ce serait pour lui trop d’honneur, dit une voix qu’Édouard reconnut pour celle de la mère du jeune X… Ce n’est qu’un gamin à qui des leçons de convenance et de modestie seraient fort nécessaires, et il me semble que sa mère, si elle l’aime tant, devrait avoir le bon sens de les lui donner. Ne devrait-elle pas avertir ce petit bonhomme qu’il est malséant à lui de prendre ainsi la parole au milieu des grandes personnes ? On gâte énormément les enfants aujourd’hui. Au lieu d’écouter cet Édouard, on devrait l’envoyer faire des pensums, ou réfléchir sur ses propres défauts. Il n’en manque pas, à ce qu’il paraît. Il a pris autrefois de l’argent à son père, et je sais par un de ses anciens camarades de collége qu’il ne sait pas dire un mot de vérité. Je ne comprends guère quelles qualités on lui trouve.