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— Oui, mon cher Loulou, répondit-elle en le serrant à l’étouffer. Et je n’aurai plus jamais ce vilain sentiment qui fait tant de mal. C’est qu’aussi j’ai été gâtée, petit frère, pendant ton absence. J’avais ma maman à moi toute seule. Mais, vois-tu, je sens à présent que c’est encore meilleur de l’avoir à nous deux. »

Et tandis que le sourire courait, brillant, sur ses joues mouillées, elle pressait alternativement les mains de sa mère et d’Édouard, en fixant sur eux des regards où la vivacité de la tendresse luttait avec un reste de confusion.

« À présent qu’il n’y a plus de secrets, ajouta-t-elle, nous serons bien mieux ensemble.

— C’est très-vrai, dit la maman, que le secret, nécessaire pourtant quelquefois, est une mauvaise chose dans les familles. Quand les cœurs sont bien unis, il ne faut pas de cloisons entre les pensées. Notre raison, pour t’avoir caché les fautes d’Édouard, ma fille, est que nous avions craint de nuire à ton amitié pour lui..

— Non, maman, non ! ça m’aurait fait de la peine aussi ; mais comme toi je l’aurais aimé… je l’aimerai davantage, puisqu’il a souffert. Est-ce que je n’ai pas voulu l’aimer en maman, moi ? bien qu’il s’en soit défendu, par amour-propre, ce petit-là, dit-elle en pinçant le bout du nez d’Édouard et en lui tapotant les joues. Car ça veut être tout de suite de petits hommes, ces bébés…

— Pas du tout, ce sont ces bambines qui veulent tout de suite être de petites femmes, » répliqua Édouard.

Et ils échangèrent ainsi, en riant, mille agaceries, tandis que leur maman, rêveuse, les contemplait. Ils en vinrent à rire aux éclats, eux qui, peu de minutes auparavant, pleuraient. Et puis, tout à coup, frappés de la rêverie de leur mère, ils lui demandèrent à quoi elle songeait.

« À la sottise profonde qui est le fond de tous nos défauts, dit-elle. Je rapprochais l’aveu que vient de nous faire Adrienne de la mauvaise humeur qu’elle montrait depuis quelque temps, et dont j’étais inquiète, sans en pénétrer la cause. Cette humeur, ma chère fille le comprendra aisément, non-seulement l’empêchait d’être aimable et bonne comme à l’ordinaire, mais la rendait véritablement désagréable. Et cependant, quel était le motif de la conduite d’Adrienne ? C’est que, ne se croyant pas assez aimée, elle voulait l’être davantage. En était-ce donc le moyen ? — Eh bien ! tous les jaloux sont ainsi : plus le besoin d’être aimés les passionne, plus ils se rendent haïssables ; et ils n’en trouvent pas moins les gens très-injustes de ne pas les idolâtrer.

« Il faut ajouter que le jaloux est rarement aimable par lui-même, car ce désir violent d’être le plus aimé, sans s’occuper d’abord, en général, d’être digne de l’être, vient presque toujours de l’égoïsme et souvent exclut, ou du moins combat, les délicatesses du sentiment et de la con- science, la dignité personnelle, la justice, l’impartialité. On peut souffrir de n’être pas aimé ; mais ceux qui savent bien aimer eux-mêmes, comprennent que l’affection est au-dessus de toute exigence. Elle ne s’impose pas, elle se donne. On ne la demande pas, on la gagne par l’affection même, et le meilleur moyen d’être aimé sera toujours d’être aimable.

« Il faut pourtant faire une exception, ajouta la maman, en regardant ses enfants avec une tendresse profonde et un doux sourire : C’est que, dans la famille, les enfants sont toujours, et malgré tout, aimés. Ne fussent-ils pas aimables, le père et la mère les aiment encore, en attendant qu’ils le soient, dans l’espoir qu’ils redeviendront enfin dignes d’être aimés. Mais dans la vie sociale, c’est bien différent.