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à celles de sa mère. Adrienne continuait de sangloter en silence, la tête appuyée sur l’épaule de sa mère.

« Tu m’inquiètes, ma fille, dit la bonne mère, et ce n’est pas d’aujourd’hui, car, depuis plusieurs jours, ton humeur n’est plus égale. Tu es souvent triste, quelque-fois sombre ; parfois même tes paroles brèves, presque dures, m’ont blessé le cœur. Tu souffres certainement. Qu’y a-t-il ?

— Oh, maman ! maman ! dit enfin Adrienne, en couvrant le visage de sa mère de larmes et de baisers, tu avais une méchante, une bien méchante fille !

— Non. Un moment peut-être. Mais qu’y avait-il donc ? Dis-le moi, maintenant que c’est passé.

— Oh, oui ! s’écria la fillette, oui, c’est passé ! mais c’est égal… c’était si mal ! Ah !… j’étais venue pour le dire, et maintenant, je ne puis pas. Quand vous le saurez, vous ne voudrez plus m’aimer.

— Toi, chère enfant ! c’est bien impossible.

— Oh ! petite sœur, comment peux-tu dire cela ? Dis ce que tu as sur le cœur, va. Et ne pleure plus. Nous t’aimons bien.

— C’est que… ces derniers temps, depuis qu’Édouard… »

Elle perdit la voix de nouveau.

« Eh bien ! voyons, depuis qu’Édouard…

— Il y a de ma faute, je le vois, dit le bon garçon, en embrassant Adrienne.

— Non, oh non ! c’est bien la mienne ! Voilà… c’est que vous causiez toujours, tous deux ensemble… et puis, quand j’arrivais, quelquefois, vous vous taisiez… Et alors il me semblait que vous étiez contents d’être seuls, et maman était si heureuse de te revoir et s’occupait tant…

— Eh bien, après, quoi ? demanda Édouard, voyant que sa sœur s’arrêtait, pendant que la maman qui, elle, avait compris, faisait un mouvement pénible.

— Si bien que j’étais… oh ! c’est si mal !… je ne savais pas… j’étais… j’étais jalouse !… »

Adrienne avait prononcé ce mot avec effort et en inclinant plus bas son visage plein de rougeur et de larmes, qu’elle cachait dans ses mains et un sanglot douloureux lui échappa.

« Jalouse !… répéta Édouard en ouvrant de grands yeux. Jalouse !… mais cela voudrait dire que tu croyais que ta maman m’aimait plus que toi ? Oh ! petite sœur, oh ! est-ce que c’est possible ?

— Non, dit la maman, ce n’est pas possible. Il n’y a pas deux amours maternels ; il n’y en a qu’un, et qui est tout entier pour chaque enfant. Seulement, comme notre pouvoir de manifestation est borné, ne comprends-tu pas, Adrienne, qu’il faut se donner davantage à celui qui a plus besoin.

— Oui, maman, oui, je comprends bien maintenant pourquoi, et je m’en veux trop d’avoir eu un si mauvais sentiment… c’est pour cela que j’ai voulu vous le dire, afin que vous m’en vouliez aussi, puisque je l’ai mérité… puisque je ne suis pas bonne… et que je ne mérite pas qu’on m’aime du tout !

— Ah ! par exemple, s’écria Édouard en embrassant sa sœur de toutes ses forces.

Et la maman l’embrassait aussi.

— Pauvre enfant ! je ne t’en veux pas ! Tu as trouvé ta punition dans ta faute, car la jalousie fait beaucoup souffrir.

- Oh ! oui, maman, oui, la jalousie fait souffrir ! c’est comme une montagne, à présent, que j’ai de moins sur le cœur.

— C’est comme ça, dit Édouard, que tu étais quelquefois si maussade. Alors, je suis bien content, car je me disais : Adrienne n’est plus si bonne et si gentille qu’autrefois, elle m’aime moins, et j’en avais de la peine. Mais à présent, tu vas encore être bonne et gaie, et tu m’aimeras davantage.