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« Il était neuf heures, et la nuit était aussi noire qu’elle peut l’être en juillet. Je méditai mon plan. Mais j’allais courir des dangers et il me fallait une arme.

— Une arme ! s’écria Amine ; apparemment, vous ne vouliez pas tuer ce bonhomme, Victor ?

— Moi ! répondit Victor en ouvrant de grands. yeux, je n’en ai jamais eu l’idée. Mais enfin j’allais faire une expédition, et où avez-vous vu, je vous prie, qu’on aille en pays ennemi sans être armé ? Après ça ce ne sont pas les héros qui s’en privent de tuer du monde, et, nous autres qui lisons tout ça dès l’enfance, je m’étonne que nous ne soyons pas plus méchants. Moi, je pensais donc aux héros de Cooper, et j’invoquais la prudence de Bas-de-Cuir et l’agilité de l’Indien chasseur. A défaut de mocassins, j’avais mes pantoufles ; mais, je vous le répète, Amine, et quoi que vous en disiez, il me fallait une arme. J’hésitai quelque temps entre ma sarbacane et mon bâton. Il ne s’agissait plus dans cette affaire de graine d’’orties, ni même de pois fulminants ; mais pourtant, quant au bâton, je dus m’avouer que, vis-à-vis de quatre ennemis qui, chacun à part, excepté le caniche, étaient plus forts que moi, il ne ferait guère que m’embarrasser. Je courus à la cuisine, et, tout en ayant l’air de boire un verre d’eau, tandis que la bonne tournait la. tête, je vidai la poivrière dans ma poche et, retournant prendre ma sarbacane dans l’escalier, je sortis à pas de loup.

« En passant devant la fenêtre du salon, où j’entrevis la figure doucement éclairée de maman, il me vint bien la pensée que j’allais peut-être faire une grosse sottise et lui causer du chagrin… Mais mon ballon ! mon cher ballon ! et ’surtout encore le triomphe qu’éprouvait mon adversaire de posséder ce trophée !

« J’allai prendre dans la serre une corde à nœud coulant, que j’y avais cachée, et je l’assujettis à un des morceaux de fer de l’espalier. Puis, saisissant la corde, je m’élançai sur la crête du mur et, grâce à elle, je descendis de même de l’autre côté. J’étais dans le camp ennemi ! »

Il y eut, à cette parole, dans l’auditoire de Victor, un léger frémissement. Toutes les têtes étaient tendues vers lui, tous les yeux largement ouverts.

« Mon plan était de monter dans le sapin qui s’élevait à l’angle de la maison, tout près de mon ballon, de le faire tomber, à l’aide de ma sarbacane, et, naturellement, de m’esquiver avec lui le plus promptement possible. Au moment où je touchai le sol étranger, neuf heures trois quarts sonnèrent. Par cette nuit où ne brillait pas le moindre rayon de lune, il était permis d’espérer que les gens n’étaient pas dehors. Mais celui qui m’inquiétait le plus, c’était le caniche, et celui-ci pouvait bien rôder dans la nuit.

« Je glissai mon poivre dans ma sarbacane et m’avançai d’un mocassin léger sur le sentier de la guerre. Rien ne bougeait, tout était Silencieux. En arrivant près de la maison, je vis deux fenêtres éclairées. Je redoublai de précautions ; mon pas criait à peine sur le sable et j’étais déjà tout près du sapin quand un sourd grondement se fait entendre, s’accroit, s’élève, et tout à coup vient éclater presque dans mes jambes, en même temps que deux yeux de feu se fixent sur moi. »

Lucis B.

La suite (fin du Salon d’Amine) prochainement.