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LA JUSTICE DES CHOSES

LE SALON D’AMINE. — VICTOR

Toute la pépinière d’orateurs paraissait embarrassée, non que les visages fussent muets ; on y voyait bien l’envie de parler, mais en même temps la timidité, l’inexpérience et cette fausse honte, si complexe, qui ôte souvent la voix à de très-bons sentiments.

« Du courage ! reprit Mme Ledan. Le tout est d’oser, de commencer ; on apprend peu à peu à mieux rendre sa pensée. Voyons ! au plus brave ! à vous, Victor ! »

Victor tressaillit, puis se raffermit comme un homme qui reçoit un choc. Évidemment il eût préféré qu’on fit appel à sa vaillance pour un tout autre propos ; mais il ne recula point.

« C’est, dit-il, qu’après tout, je ne sais pas trop, moi, si je suis pour ou contre. J’ai fait souvent des sottises, ou du moins ce qu’on appelle ainsi, et peut-être n’y ai-je pas fait assez attention ; — mais il me semble que je n’en ai pas toujours été puni. C’est-à-dire, oui, souvent par mon papa, sous forme de prison ou de pain sec ; mais pour la justice des choses, ma foi, non, je ne me rappelle pas l’avoir vue.

— Si vous n’êtes ni pour ni contre, Victor, c’est la meilleure condition pour examiner. Racontez-nous quelqu’une de vos aventures, et nous verrons tous ensemble, d’abord, si votre action a été réellement coupable, et puis si vraiment elle n’a pas emporté d’inconvénients pour les autres et pour vous. D’ailleurs, il n’est pas dit que nous devions seulement nous occuper d’actes fâcheux ; nous avons à considérer les conséquences des bonnes actions comme des mauvaises, et il est permis par conséquent de raconter aussi bien une bonne action et le fruit qu’on peut en avoir tiré. »

Victor mit son front dans ses mains, et après deux minutes de réflexion :

« C’est que je suis très-embarrassé de choisir. »

On se mit à rire.

« Dans quel tas ? demanda Charles.

— Oh ! dans le mauvais, parbleu, répondit modestement Victor. L’autre n’est pas si gros, mais enfin 1] faut que ça ressemble à quelque chose, une histoire. Je ne puis pas dire combien j’ai déchiré de pantalons, — je n’en sais pas le compte d’ailleurs, — ou fait de trous dans les haies de nos voisins, ou endommagé de meubles chez nous, ou : piétiné de platesbandes, car j’ai été encore plus enragé qu’à présent… »

Charles, Ernest levèrent comiquement les mains vers le ciel en entendant cet aveu ; Amine se permit un Sourire et un petit geste qui signifiait la même chose ; et Édouard geignit une exclamation.…

« Or, continua Victor, voilà ce que je me dis : quand je déchirais mes vêtements, c’était maman qui les raccommodait, ce n’était pas moi ; quand je faisais un dégât quelconque, c’est la famille tout entière qui en souffrait. Mon père et maman étaient très-ennuyés de ma conduite. Pour moi, oh ! ma foi, quand j’avais mangé mon pain sec, bah ! je n’y pensais guère plus.

— Il faut considérer, dit Mme Ledan, que l’étourderie et la vivacité, si elles sont fâcheuses, ne sont pourtant pas criminelles ; et, d’un autre côté, il me semble