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ne trouve pas une parole de blâme contre l’atroce massacre qui termine la sédition. Par suite de ces mêmes préjugés aristocratiques, il est arrivé que des souverains — qui, sans doute, n’avaient pas toutes les vertus, mais qui avaient du moins la volonté de combattre les excès, les cruautés et la dissolution des grands — ont été représentés par l’aristocratie et ses historiens comme des monstres de tyrannie.

— Il serait pourtant difficile, monsieur, d’admettre que le meurtrier de Titius Sabinus, de la veuve et des enfants de Germanicus, l’homme qui envoie Vitia au supplice pour avoir pleuré son fils Dofius Gemnius, qui donne des primes aux délateurs et couvre une plaine entière des cadavres de gens prévenus seulement d’être complices, il serait difficile d’admettre que cet homme ne fût pas un odieux tyran.

« Je ne pousserais, en effet, la réhabilitation de Tibère que jusqu’au point de prétendre qu’il fut supérieur par les talents, la moralité même, au moins tout d’abord à cette aristocratie romaine dont il essaya de réformer les mœurs, Je ne veux que vous citer à propos de lui ce beau jugement du même Tacite, qui rentre si bien dans le sujet de nos réflexions :

« Tant il est vrai qu’il était la première victime de sa fureur et de ses infamies. Le plus sage des mortels avait bien raison d’assurer que si le cœur des tyrans pouvait être aperçu, on le verrait sanglant et meurtri de coups. En effet, la cruauté, les passions forcenées et les projets criminels n’ont pas moins de prise sur l’âme pour la déchirer que les supplices sur le corps. I n’était ni fortune, ni solitude qui pussent garantir Tibère, ni l’empêcher d’avouer lui-même les tourments de son cœur. »

« Est-il, en effet, un homme plus malheureux que Tibère ? Trahi par celui qu’il aimait le plus, séparé de tous les siens, meurtrier involontaire de son propre fils, obligé de fuir le monde et ne pouvant se fuir lui-même, étouffé dans son agonie, parce qu’il tarde trop à mourir. Ce maître de l’empire est assurément la plus infortunée de toutes ses victimes.

— Au moins l’avait-il mérité, tandis que Nero, Eurilius, Varro…

— Je ne ferai pas assaut de connaissances historiques avec vous, Charles, quoique j’aie aussi bonne mémoire. Car, je le répète, ce n’est pas de détails historiques, ni de tel ou tel caractère particulier qu’il s’agit ici entre nous ; mais du jeu même des rapports humains :

« Est-il vrai que tout être blessé par un autre en conçoive un ressentiment ?

« Est-il vrai que les bienfaits ont le don de faire naître, pour un temps plus ou moins long (suivant la valeur et de la semence et du terrain où elle tombe), des impressions heureuses et bienfaisantes ?

« Est-il vrai que chacun de nous est intéressé à ce que la vie humaine soit fondée sur des rapports de justice et de bonté ?

« Est-il vrai enfin que celui qui nuit aux autres sème son propre malheur ? — Et qu’en se nuisant à soi-même, en s’abaissant, ou en refusant de s’agrandir, on diminue sa propre vie et la somme possible de ses jouissances morales et intellectuelles ?

« Voilà, je crois, les véritables questions posées sous ce titre général : la Justice des choses ; et ce que nous devons chercher à vérifier, non pas sur des caractères problématiques et qui nous sont étrangers, mais dans notre propre conscience et dans les faits qui se passent autour de nous. Est-ce bien cela ? Je consulte l’assemblée.