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— Je te dis que je ne veux pas.

— Ah ça, bambin, assez causé ; veux-tu me ficher la paix ; tu sais que je ne suis pas patient.

— Tu n’as pas le droit.

— Si, j’ai le droit du plus fort, et tu vas voir. »

En même temps, Victor poussa vigoureusement Édouard et mit le pied sur le tronc noueux du lierre. Agile comme il l’était, ce point d’appui lui eût suffi pour s’élever jusqu’au nid. Mais Édouard indigné, voulant à tout prix défendre ses chers oiseaux, l’avait saisi par la jambe. Il reçut un coup de poing ; mais il ne làcha point prise, et Victor dut abandonner sa tentative d’escalade pour se remettre sur ses jambes et faire face à l’ennemi. Plein de colère, il fondit sur Édouard. Une ou deux années de plus à cet âge font la différence du géant au nain. Et cependant Édouard affronta la lutte. Exaspéré par le danger de ses chers oiseaux, il combattit bravement, héroïquement, contre un adversaire bien plus fort que lui, parant de son mieux les coups, en recevant toutefois un grand nombre, frappant lui-même le plus fort qu’il pouvait, mais sans beaucoup de succès.

Chose forcée parfois que de tels combats, quand il s’agit de défendre les autres, ou soi-même : mais bien triste à voir entre des humains, êtres pensants, qui ont pour arbitre la justice, et devraient s’en remettre à elle, et non aux coups, qui ne prouvent rien ; chose supportable tout au plus entre animaux, à l’instinct aveugle et fatal, et qui prouvera, tant qu’elle durera entre les hommes, qu’ils sont encore trop près de l’animalité.

Effarouchés par le bruit, les bouvreuils s’étaient envolées du nid, et réfugiés sur un arbre voisin, ils contemplaient, en remplissant l’air de leurs cris, ce combat qui allait décider de leur sort. Le résultat n’en pouvait être douteux. Malgré tout son courage, en dépit d’une résistance acharnée, l’enfant devait succomber sous l’adolescent. Édouard pliant sous la douleur, presque étourdi, fléchit à la fin et tomba ; mais sans lâcher pourtant Victor, qu’il entraina dans sa chute. Là encore, sur le sable de l’allée, au grand dommage des haricots d’un côté, des pervenches et des giroflées de l’autre, les deux combattants s’étreignirent, se roulèrent, mais Édouard ne put reprendre le dessus, et bientôt Victor se dégagea et se reprit à escalader le lierre. Les cris des bouvreuils devinrent plus perçants. Exalté par la vue du rapt cruel qui allait s’accomplir, Édouard tout meurtri, presque aveuglé, se leva, osa revenir à la charge et s’élançant sur Victor, le saisit par les jambes si violemment qu’il le força de descendre, ou plutôt le fit tomber. Mais cette fois, le pauvre enfant recevait du grand garçon furieux un coup si dur qu’il tombait à la renverse, le visage couvert de sang…

Désormais, hélas ! tout est fini ; les pauvres oiseaux n’ont plus de défenseur ! — Non, dans l’humanité, une protestation courageuse, énergique à une force supérieure à la force mème. Combien de fois l’histoire ne vous a-t-elle pas fait assister au triomphe des vaincus, quand la cause de ces vaincus était celle de la justice. En voyant couler le sang de son camarade, de cet enfant plus jeune et plus faible que lui, contre lequel il s’est battu lâchement, pour satisfaire un désir injuste, Victor est saisi d’épouvante, de remords. Il essaye d’abord de relever Édouard ; puis désespéré, perdant la tête, oubliant qu’il existe des bouvreuils, il court, il appelle, il va chercher du secours.

Heureusement, au bout de quelques pas, c’est Amine qu’il rencontre, avec son Émile fidèle. Victor s’accuse, les amène près d’Édouard. Celui-ci venait de se relever sur les genoux. Il essuyait le sang qui