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trer que sa chute n’avait pas le sens commun. Il en était bien persuadé ; mais comment donc entrait-on autrement dans cette habitation étrange ?

« Comment ? mais par l’entrée, répondit Charles.

— L’entrée ! mais où est-elle ? La cour semble une sorte de puits.

— Elle est sur le chemin. Seulement c’est une pente rapide, tiens, comme ça z. On ne peut voir la maison que par là.

— De drôles de maisons ! Et pourquoi les creuse-t-on ainsi au lieu de les bâtir sur la terre ?

— C’est pour prendre des pierres de tuf, dont tout ce terrain est rempli. Et cela fait deux maisons à la fois : l’une qu’on bâtit en relief, quelque part dans le village, avec les pierres tirées de l’excavation, et l’autre en creux, comme celle-ci. Tu devais bien le savoir…

— Non, je croyais qu’il n’y en avait que sous le coteau. Mais, comme cela, au milieu des champs, c’est trop perfide, aussi…

— Papa t’avait prévenu de prendre garde.

— Parbleu ! nous pensions que tu savais ça… »

Cette dernière phrase était de Charles, l’auteur de l’histoire des gnomes. Mais non, puisque je n’étais pas encore venu par ici.

— Il y en a pourtant un peu partout, excepté de notre côté, parce que c’est le côté plat, celui des prairies. Et puis papa t’avait bien prévenu.

— Oh ! oui, dit Charles. Et tu as répondu : Je sais. Alors… »

Édouard se tourna en gémissant de l’autre côté. — Eh ! certainement il avait eu tort ; il le savait bien ; il le sentait plus encore.

Ce n’était pas, pourtant, qu’Ernest et Charles voulussent augmenter les souffrances de leur camarade. Oh ! non ! Ils tenaient seulement à se décharger de toute responsabilité dans l’accident. Il ne manque pas de consolateurs qui font ainsi et songent surtout à eux-mêmes dans le mal des autres.

Heureusement la chute d’Édouard ne lui avait occasionné que de fortes contusions. C’en fut assez toutefois pour lui faire garder le lit deux jours et le confiner ensuite dans un fauteuil près d’une semaine. Pendant cette inaction forcée, Édouard plus d’une fois revit en pensée la pauvre demeure où il était entré si inopinément, et la femme compatissante, et l’homme désolé du mal de son figuier, et ces deux petits enfants étonnés de tout, mal vêtus et mélancoliques. Il songeait avec tristesse que c’étaient là de ces humains qui vivent, comme disait Antoine, sans beaucoup plus d’idées que les animaux qu’ils soignent, et il eût bien voulu que cela ne fût pas ainsi. Édouard n’y pouvait pas grand’chose ; mais il fit du moins ce qu’il pouvait faire : il donna en échange du figuier cassé tout l’argent qu’il possédait, sauf une petite part dont il acheta quelques gâteaux, deux mirlitons bariolés de rouge et de bleu, et un livre de zoologie avec des images, toutes choses qui ravirent les gnomes et firent ouvrir leurs yeux ronds plus grands que jamais.

Plus généreux que les camarades, M. Ledan s’abstint de tout reproche, tant que les douleurs d’Édouard eurent la parole ; car c’étaient là des arguments sans réplique et suffisants. Mais à la première gambade que fit son élève :

« Laissez-moi vous donner un conseil, Édouard : n’oubliez pas tout à fait cette aventure. Elle vous enseignera à ne pas trop négliger les avis et à prendre les renseignements utiles. Vous vous en êtes tiré à fort bon marché ; mais, songez-y, il y a des imprudents qui se cassent le cou. »

LUCIE B.

La suite prochainement.