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n’avait point de bâton, et que la crainte lui fit presser le pas, le jars, enhardi, le mordit à la jambe, de son bec de corne garni de dents. Édouard poussa un cri de douleur, et l’oiseau, revenant à la charge, il se mit à courir en jetant de nouveaux cris. Toute la petite bande se mit à rire, et surtout les enfants de la ferme. Ce n’est pas qu’ils fussent contents de voir de la peine à Édouard ; mais le danger n’était pas sérieux et la poltronnerie est toujours risible. Les enfants savaient si bien, eux, même les plus petits, se débarrasser d’un tel danger, grâce à la moindre baguette, ou seulement en courant eux-mêmes contre le jars, qu’ils ne pouvaient comprendre la peur d’Édouard. En même temps que ces rires, Édouard en entendit d’autres derrière lui et, se retournant, il vit que c’était Ravenel avec Amine. Celle-ci ne riait pas, et s’avançait au contraire pour secourir Édouard. Plus de doute, cette famille lui en voulait de la Sottise qu’il avait faite à Antoine, et tous ces gens-là ne demandaient qu’à s’amuser à ses dépens.

Aussi, resta-t-il à l’écart, sombre et tourmenté, au lieu de se mêler à la joie des autres, qui devenait de plus en plus vive et folle. On jouait à colin-maillard, à saute-mouton. Les petits paysans avaient leurs jeux, qu’ils montraient aux autres, mais qui étaient peu nombreux ; car ce n’était pas leur affaire à ces enfants-là, occupés de si bonne heure de travaux utiles. Ils ne jouaient qu’un peu le dimanche, ceux du moins qui, passé douze ans, n’allaient déjà plus à l’école et, travailleurs précoces, petits hommes, soignaient le bétail, bêchaient le jardin.

Seul, appuyé contre un arbre, à l’écart, Édouard méditait tristement.

Il y en eut qui, fatigués de jouer à saute-mouton, voulurent faire une partie de quatre coins. Mais ils n’étaient que quatre. En cherchant autour d’eux, ils avisèrent Édouard.

« Qu’est-ce que tu fais là ? dit Ernest, viens donc jouer avec nous.

— Venez, dit Jacques, il nous en faut un pour faire le pot. »

On se mit à rire, et Édouard pensa que’ Jacques voulait l’insulter. Pourtant, ce fut Jacques, le brave garçon, qui de lui-même fit le pot. Il n’y resta pas longtemps, et ce fut ensuite Marie, puis Édouard. Il s’était dit pourtant :

« On veut me faire des niches, mais j’y prendrai garde » :

Et il ne bougea guère de son coin, Mais tandis qu’il ne se méfiait que des petits paysans, ce fut Ernest qui lui prit sa place. Une fois au milieu — était-ce l’inquiétude qui le rendait gauche ? — il ne put retrouver un coin. Les enfants couraient si vite, ils s’entendaient si bien. Oh oui, sûrement, ils s’entendaient, et même, — Édouard le voyait bien, ses propres camarades se joignaient aux enfants Ravenel pour lui jouer pièce. Leurs regards, leurs éclats de rire en témoignaient assez. Édouard quitta le jeu de dépit, et reçut à ce propos de mauvais compliments qui le confirmèrent dans son idée que tout le monde était contre lui.

Ah ! décidément, il avait eu bien raison de ne pas vouloir venir ; et M. Ledan, avec ses assurances, quant à la parfaite hospitalité des Ravenel, s’était avancé fort légèrement. Eh parbleu ! qu’est-ce que ça lui faisait à lui ? S’il croit pourtant que c’est agréable… Oh ! sans doute on ne le mettait pas à la porte ; mais on lui jouait de mauvais tours ; on lui rendait cette journée amère, insupportable. S’il avait su. Oui, ma foi, il serait resté à Trèves, malgré tout le monde.

Il eut un moment la pensée d’y retourner seul, sans rien dire, tant pis ! Mais