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la petite figure moqueuse d’Édouard qui, sous ce nez étrange, et de la même petite voix perçante, lui demandait :

« M’sieur, je vous en prie, où est-ce que vous avez fait l’emplette de c’nez-là ? »

En achevant cette phrase impertinente, Édouard filait déjà sur le trottoir ; mais il n’en était qu’à sa première enjambée, quand il sentit au bas des reins un choc si rude qu’il en perdit la respiration, et ce ne fut que l’horrible douleur produite par un second coup qui lui donna la force de détaler en jetant un cri. En même temps la grosse voix du monsieur retentit à ses oreilles :

« Voilà comment on traite les polissons ! »

Arrivé à la maison, plus mort que vif, Édouard faillit tomber au seuil de cet asile, tant il souffrait de marcher. Pour comble de honte et de peine, il fallut bien avouer son mal et en déclarer la cause ; il fallut faire venir le médecin. L’aventure enfin, connue de plusieurs personnes et en particulier de Mariette, dont Édouard s’était fait une ennemie, transpira de plus d’un côté, et tous ceux qui trouvaient ce petit garçon agaçant avec ses taquineries, la répétèrent en disant :

« Ce n’est pas mal fait ! »

En sorte qu’Édouard en reçut plus de ridicule que n’en peut donner le plus vilain nez. Certes, le monsieur s’était montré brutal et méchant de frapper si fort ; mais ceux à qui Édouard avait inspiré aussi de la colère, excusaient cet emportement en disant que laideur n’est pas vice et que c’était assurément à force de reprocher son nez à ce monsieur qu’on lui avait rendu le caractère irritable et la main à la fois leste et lourde.

Il y avait trois jours qu’Édouard s’était attiré cette leçon, et il se levait à peine, quand on reçut une invitation pour une partie de campagne projetée depuis longtemps et qui devait avoir lieu chez la maman d’un des camarades d’Édouard, dans une petite propriété qu’elle avait au bord de la Marne. On devait aller cueillir là les premières violettes et primevères. Édouard y pensait bien souvent et s’en faisait fête. Et c’était pour le lendemain dimanche ! Et il ne pouvait y aller ! Non-seulement il était incapable de sortir, mais lui-même il ne l’aurait pas voulu ; car moulu et souffrant comme il l’était, LL n’aurait pu courir le long des haïes, à la recherche des jolies fleurs ; il n’aurait pu partager les jeux de ses camarades et n’eût été que l’objet de leurs railleries. Il se mit à fondre en larmes.

Son oncle entra en ce moment.

« Qu’a donc Édouard ? Est-ce qu’il souffre encore tant de sa bastonnade ?

— Non, mon oncle, dit Adrienne, heureusement il va mieux. Mais il ne peut encore marcher sans douleur, et justement c’est pour demain la partie de campagne remise depuis si longtemps. Ce pauvre Édouard ne peut pas en être. C’est comme une fatalité !

— Ce n’est pas une fatalité, dit l’oncle, mais une chose faite avec intention. Je sais par le petit Paul que Mme Lemaire retardait cette partie, parce qu’elle s’ennuyait d’être obligée d’y inviter Édouard par égard pour ses parents. Depuis qu’Édouard a failli faire rompre le cou au fils de cette dame par une sotte taquinerie, et que son neveu, le pauvre petit Robert, se plaint d’être sans cesse houspillé par le même Édouard, Mme Lemaire craint la compagnie de cet aimable garçon pour ses enfants, et ceux-ci n’y tiennent pas davantage. En apprenant son indisposition, il est évident qu’on en a voulu profiter et qu’on s’est hâté de fixer la fête à demain. Quant à toi, Adrienne, tu y seras la très-bien venue, et si ta maman n’y veut pas venir, je me charge de t’y conduire.