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mun, puisqu’il avait si bien vu par lui-même, tout d’abord, combien ce défaut était désagréable et indigne. Mais c’est une terrible chose que l’exemple ; il faut vraiment de la force pour y résister, et les enfants n’ont pas beaucoup de force ni de raison. C’est pourquoi ils ont tant besoin de l’aide et des conseils de leur papa et de leur maman.

Édouard donc se pencha sur le dessin d’Adrienne, et en voyant la vieille maison dont la tête se reconnaissait déjà très-bien avec sa grande lucarne à poulie, au lieu de respecter le travail de sa sœur, il ne songea qu’à satisfaire ses goûts de taquinerie, et, au moment où Adrienne, levant les yeux sur son modèle, écartait sa main, il enleva la feuille de papier et se mit à courir dans la chambre, en l’élevant au bout de son bras, comme un trophée de conquête.

« Rends-moi mon dessin ! s’écria la petite fille en courant après son frère. Méchant ! rends-le-moi ! »

Mais Édouard n’en courait que plus fort de tous côtés, échappant à la poursuite de sa sœur derrière une chaise d’abord, puis derrière la table ; et vous savez que derrière une table ronde, il n’est pas facile d’attraper quelqu’un.

En effet, après avoir longtemps couru tout autour et après nombre de feintes vaines à droite et à gauche, Adrienne vit bien qu’elle n’en viendrait pas à bout, et, usant d’industrie, elle poussa la table qui roula au bout de la chambre, le long du mur, Édouard alors se vit sur le point d’être pris, car il n’avait plus de refuge.

Il se jeta sous la table, et, comme Adrienne l’y suivait, il monta dessus.

Mais Adrienne eut le temps de saisir le dessin qui, retenu de l’autre côté par Édouard, se déchira en deux, juste au milieu du pignon..

Pour le coup, Adrienne fut en colère. Elle lança dans les jambes de son frère un grand coup de poing. Et comme Édouard voulut le lui rendre, elle se déroba sous la table. Édouard, en la poursuivant, perdit l’équilibre et alla rouler contre le marbre de la cheminée, où il eût bien pu se fendre la tête si ce n’eût été son épaule qui, heureusement, reçut le choc.

Attirée par tout ce vacarme, la maman entra au moment où Édouard, moitié pleurard et moitié furieux, se relevait, frottant son épaule, en criant à Adrienne : « Tu me le payeras ! » Tandis que la petite fille, non moins animée, s’écriait de son côté : « Méchant gamin ! je ne te pardonnerai jamais ça ! »

Sous le regard sévère de leur maman, ils baissèrent tous deux la tête avec confusion.

Puis, Adrienne se mit à raconter l’incident jusqu’au moment où Édouard avait déchiré le dessin. Mais pourquoi s’arrêta-t-elle à cet endroit et ne parla-t-elle pas du coup de poing qu’elle avait donné de si bon cœur ? Adrienne, pourtant, n’était pas menteuse ; mais que la vraie franchise, la franchise complète, est une vertu rare !

Édouard, au reste, s’empressa de compléter le récit :

« Et c’est alors que mademoiselle m’a adjugé un grand coup de poing ! »

Il se frotta les tibias, comme si la douleur durait encore.

« Et monsieur a voulu me le rendre avec tant de rage, qu’il s’est précipité la tête la première et a fait le plongeon !… »

Enfants ! à cette image pittoresque, ils éclatèrent de rire tous les deux.

La maman, elle, ne rit pas ; car elle était chagrine de voir ses enfants se quereller et jusqu’à se battre !

« Adrienne, dit-elle, s’adressant d’abord à sa fille, ton frère a eu tort de te taquiner ; son jeu était désagréable, mais enfin