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il vivait auprès de sa mère. Non, il baissait la tête d’un air sombre, et son front, ce front de huit ans où brillait comme du soleil autrefois, était maintenant plein d’ombre. C’était surtout à l’heure de partir pour le collége qu’il devenait tout à fait insupportable. Sous prétexte de n’être pas en retard, il bousculait tout sur son passage, grognait, grinçait, gémissait, frappait des pieds et accablait sa sœur et la bonne de paroles désagréables. Mariette, indignée, déclara qu’elle ne rendrait plus aucun service à un enfant malhonnête, et elle tint parole, si bien qu’Édouard fut obligé, pressé ou non, de cirer ses souliers, de faire son lit, de mettre son couvert. Adrienne cessa presque de lui parler, et enfin, après s’être plaint sans raison, Édouard en vint à avoir réellement sujet de se plaindre. Il était malheureux ; on ne l’aimait plus. Quand, le sac sur le dos, les mains dans ses poches, l’air refrogné, il partait en grommelant, et que la porte s’était refermée sur lui, on respirait plus à l’aise. On était tout content d’en être débarrassé.

La maman seule regardait Édouard d’un air triste et doux, plein de pitié, et l’observait dans l’espoir de démêler la cause de cette méchante humeur :

« Je ne sais pas ce qu’a ce pauvre Édouard, dit-elle un jour que le petit grincheux avait été encore plus désagréable qu’à l’ordinaire.

— Ce qu’il a, répondit Adrienne ; depuis que ce pauvre enfant va au collége, il se croit un personnage ; c’est ce qui le rend grognon et ridicule comme cela. »

Les enfants ne sont point indulgents les uns pour les autres. Pourquoi ? ce devrait être tout le contraire. Mais enfin, c’est trop souvent comme cela, et je livre le fait à vos réflexions.

« Tu crois donc, dit la maman, qu’on est méchant par plaisir de l’être, et sans aucun autre motif que sa propre volonté ?

— Mais… répondit Adrienne, oui… je pensais… »

Et elle resta les yeux fixés sur ce problème, auquel elle n’avait pas encore réfléchi.

« Crois-tu donc que ce soit bien agréable d’être méchant ?

— Oh non ! Du moins, je ne voudrais pas l’être.

— La grande punition des méchants, c’est de n’être pas aimés. Mais il y en a d’autres. Ainsi, l’homme affecté d’un vice ou d’un défaut en souffre tout le premier en lui-même. L’injustice, l’envie, la colère, tous ces états de l’esprit sont des maladies, car l’esprit aussi a les siennes. Il est bien facile de voir que ton frère n’est pas heureux : la bienveillance, la gaieté sont les marques de la santé morale, de même que la fraîcheur et l’éclat du visage sont les indices d’une bonne santé physique. Aussi la mauvaise humeur est-elle le symptôme d’un malaise intérieur. Quand tu avais l’autre jour cette névralgie, on ne pouvait te toucher la joue sans te faire pousser une plainte. Édouard en ce moment a mal à l’esprit ; on ne peut lui toucher sans qu’il crie.

— Hum ! dit Adrienne. Ce serait commode tout de même pour les méchants, de dire simplement qu’ils sont malades.

— Mais non, puisque en réalité ils le sont. Est-il commode de souffrir ? Ne vois-tu pas qu’ils sont au contraire les plus malheureux de tous les malades, puisque, au lieu d’être soignés et choyés comme les autres, ils sont rebutés, blâmés et détestés ?

Mais alors, ils ne mériteraient pas d’être punis ?

Peut-être vaudrait-il mieux les soigner, car par là on arriverait presque toujours à les guérir, tandis que le châtiment pur et simple a le plus souvent pour