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ses semis, et constatait toujours que « cela avait poussé » bien que, je l’avoue, d’autres yeux que les siens peut-être n’eussent pas si bien vu. Il s’agenouillait près de ses plantes, se courbait sur elles, pour les examiner de plus près, ou pour les entendre pousser, comme la princesse Fine-oreille, et, comme elle, il y parvenait ; car la bonne volonté est une grande puissance ! Plus d’une fois, — quand il était seul ; car il eût craint d’être raillé, — il écarta du doigt la terre, comme tous les bébés ont fait et feront, pour voir ce que devenait le germe lent à paraître, et surprendre les métamorphoses cachées.

Oh ! quelle joie ! quelle douce joie ! quand, à la surface du carré des petits pois, un matin, il vit un soulèvement de terre et là, sous une croûte légère, un filet vert qui montait au jour, promettant la tige féconde, la jolie spirale, qui bientôt s’éleva, d’étage en étage, au-dessus du sol. Et là-bas, oh ! là-bas que voit-il encore ? Il court, se prosterne, et contemple deux pâles petites feuilles charnues, appliquées l’une contre l’autre, et qui soulèvent, comme Île ferait un géant, cette motte… Oh ! une autre là ! une autre encore ! une autre ! une autre !… Et le lendemain, à grâce, ô richesses ! ô trésor ! des centaines de petites feuilles jaunes, deux à deux étalées, couvrant le carré ! Amine ! Émile ! Victor ! Jules ! venez ! venez vite ! Voyez. N’est-ce pas admirable ? C’est-moi qui les ai semées, et elles ont poussé comme cela ! C’est un vrai miracle ! De petites graines, si petites ! grises ! Et ce sont des salades à présent, des salades bien petites encore, c’est vrai ; mais qui deviendront si belles, si bonnes !

Chaque jour, c’étaient ainsi de nouvelles surprises, de nouveaux bonheurs. Aujourd’hui, l’éclosion d’une tulipe au pur calice jaune, rouge ou brun ; demain, la naissance d’un haricot, ou l’apparition de ces

beaux cotylédons pointus et longs, qui déjà contiennent, éternel mystère, la fleur embaumé du réséda. Une fois nés au monde de la lumière, tout cela crût, monta, s’élargit, et bientôt le terrain disparut sous une abondante verdure, aux formes, aux nuances diverses. Et tout cela c’était Édouard qui l’avait fait. Il en était fier ; mais encore plus reconnaissant envers ces chères petites choses, qui avaient si bien accepté ses soins, qui, plus savantes que lui, savaient si bien ce qu’elles avaient à faire, et ne lui demandaient qu’un terrain friable et un peu d’eau pour accomplir le mystérieux et profond travail qui fait de la graine la plante, de la plante la fleur, de la fleur le fruit.

Jusque-là, Édouard ne s’était point arrêté à ces merveilles. Il n’avait fait, comme tant d’autres, que les traverser en courant, plus ou moins ébloui. Maintenant qu’il vivait dans leur intimité, il les aimait, les adorait presque. — Doux monde charmant, toujours nouveau, gros de promesses, plein d’une joie pour chaque jour et de trésors à venir. Quand Édouard, le matin, avait constaté les progrès du jour précédent et de la nuit, qu’il avait repiqué ses salades, sarclé ses petits pois, choisi pour le déjeuner ses plus gros radis, du rose le plus vif et le plus croquant, compté les fleurs de ses fraisiers, les trois cerises déjà nouées de son cerisier, après avoir épluché les mauvaises herbes qui gênaient ses résédas, ses verveines et ses giroflées, il se redressait un peu las, mais d’une saine fatigue et, appuyé sur son sarcloir, il regardait son petit domaine avec amour, Toutes ses pensées étaient devenues douces, pures, pleines de bon vouloir. Les premiers rayons du soleil, chaque matin, lui versaient, comme à toute la nature, la force, la vie, l’amour. Il sentait que l’homme est fait pour être heureux, sil veut être juste et bon, et, quand un sou-