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s’agit des autres, seulement ; toujours des autres, rien que des autres. On aime le beau et le bon, ce qui n’est pas difficile, et on veut qu’ils nous soient donnés, par les autres évidemment. Quant à les leur donner soi-même, on verra plus tard si on a le temps.

« Tu es trop sévère, dit Mme Ledan à sa fille. Édouard subit une crise pénible ; c’est la première fois qu’il quitte ses parents. Il faut, sans se lasser, être bon et affectueux pour lui, et quand il verra que nous voulons absolument l’aimer et le rendre heureux, son cœur s’ouvrira pour nous.

C’est fort bien, reprit la fillette ; mais c’est que… ce n’est pas facile au moins. Le cœur ne vous dit rien pour ces gens bourrus. Quand ce bon gros Émile vient à moi avec sa bouche toujours ouverte pour sourire, moi, tout naturellement, je souris aussi, et j’ai toujours une foule de choses à lui dire. Mais Édouard, avec son air renfrogné, me glace et je ne trouve plus un mot… Oh ! maman, la belle jacinthe ! Vois, elle fleurit de ce matin. C’est une rose ; comme elle sera belle ! Déjà les abeilles bourdonnent autour ! »

Elle s’agenouilla près de la fleur, et l’entretien continua sur d’autres sujets ; puis, elles s’éloignèrent. Édouard, comme on pense, avait été fort attentif à cette conversation, et elle le laissa tout songeur. Si on lui avait dit tout cela à lui-même, sous forme de conseil ou de remontrance, il n’en aurait pas été frappé de même, car les enfants s’imaginent que chez les grandes personnes c’est un parti pris de les sermonner, et qu’elles ne croient pas toujours en ces moments-là ce qu’elles disent. Mais ici, il était bien clair que Mine Ledan et sa fille avaient parlé comme si Édouard n’était pas là, puisqu’elles ignoraient si bien sa présence ; et il n’y avait pas de raison de croire qu’elles en eussent dit plus ou moins qu’elles ne pensaient.

Demi-mortifié, demi-touché, notre petit solitaire ne pouvait s’empêcher d’aimer la bonté de Mme Ledan ; mais il en voulait à Amine de ses jugements sévères. — Voyez-vous cette Mlle Grincheuse, se dit-il, qui veut que l’on soit méchant parce qu’on est triste ! — Et il se dit à lui-même : — Non, je ne suis pas méchant, je suis malheureux. Et cela le fit pleurer. Cependant, il ne put s’empêcher de reconnaître qu’en effet il avait mal répondu aux prévenances amicales de ses hôtes, et les dernières paroles d’Amine : Le cœur ne vous dit rien pour ces gens bourrus, je ne trouve plus un mot à dire à cet Édouard renfrogné ; ces paroles lui bourdonnaient dans la tête, et il ne pouvait pas les trouver injustes, puisqu’elles ne faisaient que constater un sentiment naturel et involontaire. Sous cette impression, Édouard devint attentif à la manière d’être des autres envers lui, et il constata que devant sa morosité persistante, on avait fini par le prendre au mot, ses camarades ne le comptaient pas pour un des leurs, il n’était question de lui ni pour le jeu, ni pour l’amitié ; et l’un d’eux seulement, le plus espiègle, afin d’utiliser ce compagnon, qui leur faisait tort de son concours et de. sa gaieté, le tournait en ridicule pour l’entrain de la compagnie. Il n’y avait donc plus que M. et Mme Ledan, ainsi qu’Amine, l’aînée des enfants, qui persistaient à s’occuper encore du petit bourru ; mais Amine était déjà bien découragée, et ses parents n’avaient guère le temps de causer avec Édouard. Il n’avait qu’à se hâter de changer d’humeur, s’il ne voulait pas avoir des efforts à faire pour regagner tant de bienveillance perdue. Et cependant il ne le fit point encore. D’abord il n’est pas facile de changer d’un jour à l’autre ; puis il aurait eu besoin qu’on l’aidât un peu,