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rellement, la tristesse d’Édouard s’en accrut. Bien qu’il parût insensible aux attentions, elles ne laissaient pas que de le distraire, et le soulager un peu ; car tout cœur humain a besoin de la sympathie de ses semblables. Oubliant même que c’était à lui seul qu’il devait s’en prendre, il s’affligea de cet abandon, se crut victime, et n’en devint que plus solitaire et plus silencieux.

Que de fois ce pauvre enfant, le soir, assis dans un bosquet au fond du jardin, tandis que la lune glissait derrière les arbres, jetant çà et là sa blanche clarté sur les carrés fraichement remués et sur les fleurs endormies des plates-bandes, scintillant sur le toit d’ardoises de la maison et sur un clocher voisin, et mêlant ses nappes de lumière aux nappes d’eau du fleuve, — que de fois, tout enfiévré de son isolement, de ses souvenirs, versa-t-il des larmes amères, là, seul, pendant que les cris de joie de ses camarades retentissaient dans la cour !

Un jour, pendant la récréation de midi, après le déjeuner, Édouard, selon son habitude, s’enfonça tout seul dans le jardin, la tête baissée, les mains dans ses poches. Il faisait un beau jour du mois de mars ; le soleil couvait la terre de sa chaleur fécondante et de toutes parts des germes sortaient du sol, tandis que de toutes les branches, gonflées de séve, essaimaient des bourgeons luisants et joyeux, et que la neige des amandiers et la fleur rosée des pêchers jetaient leurs parfums dans l’air.

Machinalement, les pas d’Édouard le conduisirent vers le bosquet où il s’asseyait d’ordinaire, et qui s’appuyait au midi contre un mur garni de lierre, de pervenches et d’arbustes sarmenteux, déjà touffus. À l’approche d’Édouard, un brusque battement d’ailes se fit entendre, et deux oiseaux s’envolèrent du lierre, où sans doute ils faisaient leur nid. Édouard s’arrêta. Près de cet abri, la chaleur plus forte du soleil pénétrait doucement son être encore alangui ; Édouard tenait ses yeux fixés sur la muraille verdoyante, où la feuille de lierre, luisante d’éclat, semblait sourire au soleil, et bientôt il remarqua toutes sortes de tressaillements vifs et subits dans les feuillages et il en sortait des crépitements, des bruissements, comme si la muraille, échauffée par le soleil, eût été vivante, Était-ce donc ces pervenches, aux doux yeux bleus, qui l’animaient, à midi, d’une vie plus puissante et qui agitaient ainsi leurs branches, comme des bras qui voudraient agir ? Édouard s’approcha doucement, très-doucement, écarta les feuilles et vit deux ou trois lézards s’enfuir avec leurs ombres, et de gros scarabées noirs qui, moins alertes, se mettaient en marche, emportant comme ils pouvaient leur train lourd. La retombée des branches sarmenteuses formait là, entre elles et le mur, comme de belles petites chambres chaudes, si chaudes et si jolies, qu’Édouard pensa tout de suite à s’y étendre, comme avaient fait les lézards ; car depuis sa maladie, et peut-être à cause de son chagrin, il était resté frileux. La joie est une sorte de soleil intérieur, qui réchauffe aussi nos veines, Et puis l’idée de reposer là comme dans un nid, à la manière du petit peuple des bêtes, dont c’était l’asile, cela lui fit plaisir. I s’y faufila donc, s’étendit de tout son long, rabattit bien les branches, et se plut à se voir dans cette sorte de joli berceau, tout pailleté de soleil et d’ombre. Il pensa aussi qu’à ne pas bouger, comme cela, les lézards peut-être reviendraient et qu’il en pourrait prendre un. Mais les lézards gris ne sont pas bêtes ; ils ne vinrent point.

Bientôt les yeux d’Édouard se fermèrent et il tomba dans une sorte d’assoupissement qui n’était ni la veille ni le sommeil,