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plus le droit de dire ce mot. Sa maman soupira et ne répondit pas.

Le lendemain, il s’attendait à passer encore toute la journée dans sa chambre, travaillant de toutes ses forces, et soutenu par les visites de sa mère, quand son père entra, et le pria de se préparer pour l’accompagner dehors. Édouard devint tout tremblant et balbutia :

« Oh ! comment, déjà ?…

— Non, dit son père, pas encore. »

Ils sortirent, descendirent vers le centre de la ville, franchirent les boulevards, prirent par le pont Saint-Michel, et arrivèrent enfin devant le Palais de justice. En voyant son père se diriger vers la grille pour y entrer, la peur saisit Édouard et il eut la pensée — tant l’imagination des coupables est prompte à s’effrayer — que son père allait le livrer à la justice, ou peut-être qu’il avait été cité à comparaître en police correctionnelle sur la plainte du cafetier. Il s’arrêta, et ses regards et son geste supplièrent son père de ne pas aller plus loin.

« Venez, monsieur, dit son papa, il le faut. »

Édouard avança plus mort que vif ; des gendarmes qu’ils rencontrèrent le firent pâlir ; il marchait à peine.

« Remettez-vous, monsieur, reprit son père. Plus tard, peut-être, comme vos dispositions le promettent, vous paraîtrez ici en acteur ; mais pour aujourd’hui, et grâce à la protection de vos parents, vous êtes seulement parmi les spectateurs. Remettez-vous, et faites meilleure contenance. »

Ils montèrent, entrèrent dans une chambre, au fond de laquelle on voyait des juges en robe noire, et prirent place sur des bancs. Édouard, étourdi, ne voyait et n’entendait presque rien d’abord. Peu à peu il se remit, et, sur l’invitation de son père, il écouta :

Il y avait, au banc des prévenus, un homme en blouse, pâle, maigre, défait, baissant le front, accablé. Un témoin s’avança et dit que cet homme lui avait volé un pain, le soir, en passant devant sa boutique. D’autres dirent la même chose. On avait arrêté l’homme et saisi sous sa blouse le pain volé.

« Qu’’avez-vous à dire pour votre défense ? demanda le président.

— Je mourais de faim, dit l’accusé. Depuis un mois, je manque d’ouvrage et j’en ai vainement cherché partout. Ma femme et mes enfants sont malades de besoin et de privations. En prenant un pain de deux livres, j’ai cru ne pas faire grand tort à ce boulanger ; pour nous, c’était la vie. C’est la première fois. Je ne suis pas un voleur. »

D’autres témoins déposèrent de la grande misère de l’accusé, qui manquait en effet d’ouvrage. On admit des circonstances atténuantes : mais le délit existait, et le malheureux fut condamné à quelques jours de prison. Il sortit, pâle, atterré. Mais il y avait dans la salle quelqu’un d’aussi pâle que lui ; c’était Édouard.

Après cette affaire, en vint une autre. C’était celle d’un enfant de douze ans, arrêté pour délit de vol et vagabondage. Ce prévenu paraissait âgé de dix ans à peine, tant il était malingre et chétif ; mais sa figure exprimait la ruse et l’audace. Il avait dérobé de menus objets à l’étalage d’un marchand. Interrogé, il dit n’avoir pas de domicile, ne voulant pas entrer chez son père, parce que sa belle-mère le battait et lui refusait à manger. Il n’était jamais allé à l’école, et toutes les réponses et l’aspect de ce malheureux petit être, ainsi que tous les témoignages, prouvaient une enfance misérable et malheureuse, privée de caresse, de toute douceur, de tout bon exemple, de tout secours. Il fut condamné à entrer dans une maison