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beaucoup moins qu’elle ne pense. S’il vous plaît, de quoi se compose notre vie, si ce n’est d’affections et de sentiments, de joies et de douleurs ? Sans doute, il nous faut pourvoir à tous les besoins de l’existence matérielle, extérieure ; ces choses sont la condition de la vie ; mais la vie n’est complète, agréable, heureuse, qu’autant que nous avons la santé intérieure. Servez à un malade les mets les plus succulents, il en détournera la tête ; car chez lui la langue, organe du goût, n’est chargée que de sucs amers et empoisonnés. 11 en est de même de notre conscience. Le goût de la vie dépend pour nous de sa maladie ou de sa santé. Elle fait à ceux qui sont doux les impressions douces, élevées à ceux qui sont purs, charmantes pour les naïfs, fortes pour les forts, amères, cruelles, empoisonnées pour les égoïstes et les méchants.

Pauvre Édouard ! Tant de souffrance, pour son âge, c’était bien lourd. Aussi, ne cessait-il du fond du cœur d’appeler sa mère à son aide. Il ne pouvait plus rester seul ainsi. C’était la première fois que dans ses épreuves : maladie, chagrin, fautes, sa mère n’était pas près de lui, suivant l’occasion, sévère ou tendre, mais secourable toujours. Oh ! il se trouvait là, pour le coup, traité trop en homme.

Et cependant, quel que soit notre âge, sachez-le bien, enfants, jeunes, mûrs ou vieux, toujours nous avons besoin dans nos peines du secours d’un autre cœur.

« Maman ! maman ! répétait Édouard, en marchant dans la chambre, oh ! maman ! tu ne viens donc pas !… »

Vers midi, il n’y put tenir, et écrivit ce petit billet :

« Oh ! maman, puisque je suis si coupable, tu sais que je suis très-malheureux. Viens, je t’en supplie, viens ! »

Il plia, mit sur l’adresse : pour maman, et le glissa sous la porte, qui donnait dans la salle à manger. Depuis un moment, il entendait aller et venir dans cette pièce, et reconnaissait la voix de sa sœur, qui échangeait de temps en temps un mot avec Mariette. Mais il n’osait appeler Adrienne. Lui avait-on dit ? Alors, elle aussi devait le mépriser. Elle savait bien qu’il était là, renfermé, et ne venait pas. Peut-être le lui avait-on défendu ?… L’accent de cette jeune voix n’était plus le même ; non plus clair et chantant, comme à l’ordinaire ; mais triste et voilé. Non, Édouard n’osait pas…

Et pourtant personne ne s’approchait de la porte, et le petit carré de papier restait là, inaperçu. Hésitant, anxieux, le front collé contre la porte, Édouard écoutait. Il entendit le pas léger d’Adrienne se rapprocher ; puis, un bruit d’argenterie remuée ; elle devait être au buffet, là tout près. Il frappa du doigt, doucement, si doucement, qu’on n’entendit rien sans doute ; puis, un peu plus fort. Alors, Adrienne vint tout contre la porte, et il entendit le frôlement de sa robe et un petit craquement du plancher quand elle se baissa, et le froissement du papier. Puis, à son tour, elle frappa sur la porte un petit coup, et sortit aussitôt de la salle à manger.

Maintenant le billet devait être dans les mains de sa maman. Oh ! comme il écouta. Comme son cœur battait ! Comme il avait presque peur de la voir, à présent, après l’avoir tant désirée !

Un certain temps s’écoula, un temps qui parut bien long à Édouard, et enfin, tout à coup, à un moment où, bien affligé, la tête dans les mains, il n’écoutait plus, la porte s’ouvrit. C’était sa mère.

Édouard poussa un cri étouffé, tomba sur ses genoux, et tendit les mains vers elle ; mais en baissant le front ; car il n’osait pas la regarder ; il n’osait plus rencontrer ses yeux, ses veux si clairs, à