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un tribunal il aurait encouru un bläme sévère, sinon peut-être une condamnation. Cette peur l’eût empêché de dénoncer le vol de son vin. Il se contenta donc de réclamer et de recevoir le prix de quelques bouteilles bues, dont il porta le compte à vingt et qu’il fit payer 80 francs. Aussitôt après cet arrangement, le garçon de café alla chercher Édouard dans la cave et le conduisit à la porte de la rue, où dans une voiture son père l’attendait. Édouard eut peine à monter le marchepied tant, à la vue de son père, il se sentait écrasé de honte ; une fois dans la voiture, et la portière fermée, il se jeta à genoux, et ses mains cherchèrent celles de son père ; mais celui-ci le repoussa.

« Écartez-vous de moi, lui dit-il avec mépris. Moralement, vous n’êtes plus mon fils. »

Hélas ! Édouard avait mérité cet arrêt. Il restait là au fond de la voiture, affaissé, brisé, ne comprenant pas de malheur plus grand que le sien, et pourtant préoccupé d’une autre douleur encore, celle de paraitre devant sa mère.

Mais il ne la vit pas. Son père le conduisit droit à sa petite chambre où, sans dire un mot de plus, il le renferma, après lui avoir apporté de quoi diner. Cette journée terrible s’acheva, pour Édouard, dans le silence, la solitude, et, par-dessus tout, dans le mépris de ceux qui l’avaient le plus aimé. Situation si lourde et si cruelle, qu’après avoir tant craint de revoir sa mère, Édouard en vint à le désirer. Longtemps, après dix heures, son oreille tendue à tout bruit, espérait encore entendre le pas accoutumé de sa mère. Oh ! le baiser du soir, il ne pouvait plus l’attendre ; mais qu’elle vint seulement ! Plutôt une indignation que ce froid silence ! Elle ne vint pas, et il s’endormit en pleurant, la poitrine soulevée de sanglots.

Le lendemain, tout brisé, tout pâle, il se disposait de partir comme d’habitude pour le collége, quand son père, entrant, lui annonça qu’il garderait la chambre jusqu’à ce que toutes les dispositions fussent prises pour qu’il entrât, comme interne, dans une institution dont la règle était des plus sévères.

« Vous avez fait, ajouta le père, un tel usage de votre liberté que je ne puis plus vous laisser sortir sans surveillance. »

Interne ! grand dieu ! c’est-à-dire plus de foyer, plus de famille, qu’à de certains jours, bien rares ! — Mais quoi ? n’était-ce pas juste, en effet ; n’était-Ce pas nécessaire ? puisqu’on ne pouvait plus avoir de confiance dans Édouard et que ses parents, responsables de ses fautes, ne pouvaient chaque jour le conduire au collége et le ramener. I] n’avait rien à opposer à cela, et fit seulement entendre en pleurant le nom de sa mère.

« Votre mère est malade ! »

De quoi pouvait-elle être malade, cette pauvre mère, si ce n’était des fautes de son enfant ? Oh ! comme Édouard eût voulu l’aller trouver, se jeter à ses genoux, et lui crier, lui jurer qu’il détestait ce qu’il avait fait, qu’il ne commettrait plus jamais rien de semblable. Cela était si vrai qu’elle le croirait !…

Assurément, celui qui se repent finit par mériter son pardon, quand le repentir est assez grand, assez sincère pour écarter désormais la possibilité d’une rechute. Mais comment le savoir ? Comment se fier à des assurances données par une bouche qui a menti ?

Elles furent encore longues et cruelles pour Édouard les heures de ce jour ! — Si l’on pouvait faire le compte de ce que le mal commis entraine de douleurs, comme on compte des plaies ou des meurtrissures, on ferait le bien pour être heureux ; mais l’humanité actuelle, qui se vante d’être très-intelligente et très-avancée, l’est