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— Il nous doit plus que cela !

— Il nous a assez volés !

— Oui, ça sera un bon tour ! »

Et pourtant les voix étaient enrouées ; on y sentait un malaise secret.

« Oui, dit un des petits, d’un ton in- quiet, et puis, avec ça, c’est nous qui serions pris.

— Nous le serions tous, répliquèrent les grands.

— Oh ! s’il y a des poltrons ! dit un autre. »

Une discussion animée et tumultueuse s’ensuivit, et l’on se sépara sans conclure.

Édouard n’avait rien dit. Ce n’était pourtant pas qu’il voulut commettre ce vol ; car il faut bien lui donner son nom. Que le cafetier les eût ou non volés, c’était affaire à sa conscience ; la leur n’avait pas le droit pour cela d’en faire autant. Mais pourquoi donc Édouard, puisqu’il pensait qu’on ne devait pas faire cette mauvaise action, ne l’avait-il pas dit tout haut ? C’était toujours la même faiblesse. Dans toutes les mauvaises compagnies, il est d’usage de tourner les bons sentiments en ridicule ; et les gens enrôlés dans ces mauvaises compagnies n’ont ni la force ni l’autorité de parler différemment. Ainsi, bien que parmi ces enfants, sans doute, plus d’une conscience eût murmuré tout bas : « Ce serait un vol. » Le plus hardi n’avait osé formuler son opposition que par cette parole : « Nous serions pris ! »

On revint sur ce sujet ; on le discuta, on en considéra les chances ; on s’accoutuma enfin peu à peu à cette mauvaise pensée, qui avait effrayé tout d’abord. Un soir enfin que les goussets étaient vides, que l’on n’avait pu se procurer à grand’peine qu’un demi-grog chacun, lequel en outre était détestable, l’auteur de la proposition montra une corde qu’il avait apportée ; on était irrité ; les têtes se montèrent ; on déclara que ce serait « une bonne farce, » et l’entreprise fut décidée à une assez grande majorité.

Il fut convenu que le gros de la bande parlerait, chanterait, déclamerait des vers, produirait enfin tout le bruit possible, pendant que deux grands et deux petits, désignés par le sort, feraient l’affaire. Un des petits s’introduisant dans la cave, l’autre faisant le guet à l’entrée de la cour, et les deux grands au soupirail, aidant la descente et la sortie.

Ce mauvais coup réussit parfaitement. Deux bouteilles de bon Lunel arrivèrent ainsi aux mains des écoliers, et le plaisir qu’on eut à les boire apaisa plus d’un scrupule.

On ne manqua pas de recommencer. À la troisième fois, le sort tomba sur Édouard. Ce fut lui qui devait descendre par le soupirail et mettre les bouteilles dans le sac.

En ce moment Édouard, terrifié, sentit plus vivement la gravité de l’acte dont il allait être l’agent direct, et il redouta cruellement d’en porter la peine. Mais quand il s’était agi des autres, avait-il réclamé ? Non. Il avait partagé le fruit du vol ; il ne pouvait maintenant refuser d’agir à son tour ; car on lui eût objecté que ce n’était pas de sa part honnêteté, mais lâcheté.

Les quatre… et pourquoi ne pas donner aux gens le nom qu’ils méritent ? — Les quatre voleurs enjambèrent avec précaution la fenêtre et descendirent dans la cour, pendant que dans la salle les camarades redoublaient leurs chants et leur tapage. La cour, entourée de petits bâtiments de service, était obscure, et seulement en face, à une fenêtre, brillait une lumière ; cette lumière épouvantait Édouard ; il lui semblait qu’elle le regardait. Le bruit des pas de ses camarades sur le sol lui faisait mal. Comment pre-