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club et porteront sa décoration à leur boutonnière. »

Tout cela, hélas ! parut superbe et fut acclamé.

Quelques-uns, cependant, se demandaient avec inquiétude où ils prendraient de l’argent. Édouard se dit avec beaucoup de contentement que ses 50 centimes par semaine lui permettaient de payer la cotisation ; mais alors il regretta de ne pouvoir être fondateur et se promit de faire tous ses efforts pour être décoré. Un autre sujet d’inquiétude plus grave pour lui fut de savoir comment il pourrait sv prendre pour assister aux séances du club ; car il savait bien que ses parents ne le lui permettraient pas.

Il le savait, et il s’engageait ainsi ! Il était donc, dès ce moment, décidé à leur cacher sa conduite ! Cela déjà était un grave mensonge ! — Oui, mais ne pas être membre du club ! Pour rien au monde Édouard n’y eût renoncé.

À cette objection : — Comment ferons-nous vis-à-vis de nos parents ? — les grands haussèrent les épaules.

« On invente des raisons, parbleu ! Vos cervelles sont-elles si pauvres qu’elles n’aient pas quelques trucs à leur service ? On a de l’imagination ou on n’en a pas. »

Ainsi, le mensonge devenait la condition nécessaire de la réalisation de ce beau projet !

Édouard l’avait déjà senti ; mais quand ce fut dit, il en fut pourtant saisi davantage. Tromper ses parents ! mentir à sa mère, elle qui se fait à lui ! Il en eut froid au cœur. Et pourtant il ne refusa pas de faire partie du club. Il ne dit pas : — Non, ce serait mal ; je n’en serai pas. — Sa conscience protestait en lui ; mais il refusa de lui donner une voix pour se faire entendre.

Pourquoi ne le fit-il pas ? Parce qu’il avait peur d’être seul de son avis. Mais il savait très-bien que les conseils donnés par ce garçon, d’un air si moqueur et d’un ton si décisif, c’était le mal ; et que la protestation de sa conscience au dedans de lui-même, c’était le bien. Et pourtant, c’était lui qui se sentait honteux et qui eût rougi de ne pas consentir à mal faire.

C’est bien étrange, n’est-ce pas ? Comment le bien peut-il avoir honte devant le mal ? Le vrai courage, l’honneur véritable, consistent à agir selon ce qu’on croit juste, fût-on seul de son avis. Mais en se croyant seul, Édouard se trompait sans doute. Il y avait certainement dans ce groupe d’autres enfants qui souffraient comme lui de l’idée de commettre une si grande faute, et qui, s’il avait parlé, eussent dit comme lui ; mais qui manquèrent aussi de courage. La lâcheté est une duperie souvent.

Donc, afin d’être membre d’un club saugrenu, et de peur d’être raillé par ses camarades, Édouard résolut de mentir et de tromper ses parents ; et son embarras tout d’abord fut grand, car il ne l’avait point fait encore.

Le club fut inauguré un jeudi, à la sortie du collége. Ils se trouvèrent là une vingtaine, dans un cabinet sombre et malpropre, où ils se touchaient les coudes : on leur servit des cigares, quelques gâteaux, du punch et sept où huit journaux petits ou grands, illustrés ou non, politiques ou littéraires, bêtes ou spirituels, honnêtes ou non, le tout pêle-mêle, — Ah ! c’était superbe ! Et les cigares donc ! Et le punch !…

Et pourtant c’était bien mauvais, le cigare ; et le punch, c’était bien fort !… Édouard eut peine à ne pas tousser après qu’il en eût goûté, et devint tout rouge. :

Peu à peu l’atmosphère de la chambre s’emplit d’épais nuages et d’épaisses exhalaisons. Cela prenait à la gorge. Ah ! quelle fête !…

Les grands fumaient presque bien, parce que, déjà, ils en avaient l’habitude ; les