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ne se retenait guère, à chaque occasion nouvelle, de recommencer sa pantomime ; et ses parents, tant pour ne pas le rendre plus longtemps ridicule en public que pour ne pas le contrarier en si petite chose, consentaient presque toujours à monter dans le wagon qu’il avait choisi. Ce jour-là, Édouard n’avait pas de coin, et il se tenait donc au milieu, très-mécontent, attendant que son papa, sa maman et Adrienne vinssent prendre les trois places qui restaient, comme il leur en avait fait signe. Mais ils ne venaient pas. Au bout d’une minute ou deux,

Édouard mit la tête à la portière pour les appeler de nouveau ; mais sur le quai il n’y avait plus personne.

Ah !!! ils étaient montés dans un autre wagon !

C’était un acte de révolte contre l’autorité d’Édouard en matière de voyage ; ou bien peut-être n’avaient-ils pas vu ses signes ; car lui-même, dans sa précipitation, ne s’était pas assuré du fait. Édouard pensa qu’il serait grondé, et, tout à la fois inquiet, mécontent et mortifié, il allait descendre pour se mettre à la recherche des siens, quand l’employé ferma la portière en disant brusquement :

« On ne descend plus ! »

Presque aussitôt le train partit.

On passa les voûtes, les maisons filèrent de droite et de gauche, on franchit la gare de Batignolles, et puis vinrent les fortifications. Maintenant, du milieu de la banquette où se trouvait Édouard, il n’apercevait plus, par les fenêtres de droite et de gauche, que les derniers plans de l’horizon.

« C’est bien agréable ! grommelait notre bonhomme. Être en chemin de fer pour ne rien voir ! »

À la station d’Asnières, il descendit pour tâcher de rejoindre ses parents ; mais il eut beau regarder dans une douzaine de voitures, il ne les vit pas, et bientôt les injonctions de l’employé l’obligèrent de regagner sa place.

Après tout, on arriverait bientôt à Saint-Germain. Édouard n’en était pas moins surpris du peu d’empressement que mettaient ses parents à le chercher de leur côté : ils étaient donc bien mécontents ? Cela le rendit triste. Il voulut compter les stations ; mais il ne se les rappelait pas bien, et il ne lui restait dans la tête que les noms de Rueil où il avait fait une fois une promenade en bateau, et du Vésinet où il avait couru dans les bois. Chaque fois que l’on criait le nom d’une station, il écoutait ; mais Rueil ni le Vésinet ne venaient point.

Fatigué de les attendre, Édouard se mit à penser à autre chose. Et le train roulait, et la plaine et le ciel se déroulaient sans fin à l’horizon de chaque fenêtre, et les stations succédaient aux stations.

Bon Dieu ! Édouard n’eût jamais cru qu’il y avait si loin de Paris à Saint-Germain ! Comme le temps est long quand on est tout seul et privé d’un coin !

Mais le train s’arrête. C’est peut-être Saint-Germain ? Cependant non, pas encore ; On n’a point passé le tunnel.

« Mantes ! Mantes ! vingt-cinq minutes d’arrêt !

— Vingt-cinq minutes d’arrêt ! s’écrie tout haut Édouard, dont l’indignation ne peut plus se contenir. Qu’est-ce que c’est maintenant que cette invention ? Il n’va donc plus moyen d’arriver à Saint-Germain ? »

Pourquoi, s’il vous plait, le monsieur d’en face lui rit-il au nez comme cela ? Et pourquoi ces deux petites filles — qui, elles, ont des coins ! — se sont-elles retournées en le regardant d’un air étonné ? Est-ce qu’on ne peut plus maintenant exprimer son opinion ?… De pareils retards ! C’est insensé !…