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« Maudite bête ! horrible bête ! je ne l’aime plus ! je la déteste ! Qu’elle vienne sur mes genoux, maintenant, je la recevrai ! Oh ! mes cahiers ! grands dieux ! mes pauvres cahiers ! »

La maman accourut à ces cris, et quand le lamentable état des choses fut devant ses yeux :

« Voilà qui est bien étonnant, dit-elle ; Minette n’est pas chatte à agir ainsi, à moins de force majeure. Depuis combien de temps était-elle dans ce placard ? La porte en était fermée ?

— Oui.

— Es-tu venu ici hier soir ?

— Non, je n’ai pas touché à ce placard depuis dimanche matin.

— Et c’est Minette que tu accuses ! quand évidemment c’est toi qui as imposé à cette pauvre bête ces deux jours de famine et de prison ! Tu ne peux t’en prendre qu’à ton étourderie de ce qui est arrivé. Comment vas-tu faire ? Je ne sais : car tu ne peux présenter de tels cahiers à tes professeurs ; pour moi, je vais chercher la pauvre Minette et lui donner à manger. »

Minette se rétablit ; mais aucun remède ne put rendre les cahiers présentables.

Édouard y perdit beaucoup de bonnes notes et y gagna plusieurs pensums.

Ceci est encore peu de chose en comparaison d’un voyage que fit Édouard à l’insu de ses parents, et, qui mieux est, à son propre insu.

La famille allait passer le dimanche à Saint-Germain où elle était attendue pour déjeuner. On devait partir à neuf heures et l’on arriva fort en retard. À peine le papa put-il obtenir des billets au guichet qui se fermait ; la vapeur sifflait ; on se précipita dans la gare en courant, Édouard naturellement tenant la tête. Et il avait si peur de ne pas partir qu’il se jeta dans le premier wagon qu’il trouva ouvert, sans s’occuper de savoir si ses parents le suivaient.

Selon l’usage adopté généralement et qui a bien, je crois, sa raison d’être, ce sont les enfants qui suivent leurs parents : mais Édouard avait changé cela. Il avait pris l’habitude, malgré les observations de son papa et de sa maman, de se faire le grand maitre des cérémonies de tout départ. C’était fui, le matin, qui criait l’heure, chaque minute, aux oreilles de sa maman, déjà bien assez occupée ; c’était lui qui brouillait et changeait de place les objets destinés à être emportés ; qui fermait les armoires avant qu’on eût pris dedans ce qu’il fallait ; qui exaltait Apis, par l’idée d’une promenade, jusqu’à des bonds et des hurlements ; qui remplissait enfin toute la maison d’assez de bruit, de cris, de gambades et de désordre, pour faire perdre la tête à tout le monde. Il faut dire que l’idée d’un départ, et surtout en chemin de fer, le surexcitait à l’extrême. Son rêve eût été d’avoir un wagon pour lui seul et sa famille ; mais c’était difficile à réaliser ; il y avait partout des fâcheux qui s’étaient emparés des places à l’avance, comme si elles leur appartenaient. Au moins fallait-il trouver le wagon le moins encombré de paquets et de voyageurs, un Wagon qui eût au moins un Coin vide, le coin nécessaire à Édouard pour surveiller la marche du train et pour bien voir la campagne. Édouard s’était donc chargé de ce choix ; car son papa et sa maman, beaucoup moins difficiles, étaient capables de prendre le premier wagon venu, pourvu qu’il y eût quatre places. Il allait donc devant, ardent, empressé, ouvrant dix portières, enfin son choix fait, réclamant à grands gestes et avec des appels désespérés l’obéissance de ses parents à le suivre. Ceux-ci lui avaient souvent représenté l’inconvenance de cette conduite ; mais Édouard