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somme ; et quand la version n’allait pas, quand Salluste n’était pas clair, qu’Édouard se grattait l’oreille ou se dépitait jusqu’à envoyer au diable Jugurtha, roi de Numidie, Minette, couchée sur les genoux de son maître, faisait entendre un ron-ron amical et consolateur ; Édouard, en caressant le poil soyeux de sa favorite, se calmait un peu, et bientôt après retrouvait le fil du discours. C’est que pour le cerveau de l’enfant qui étudie, une minute de distraction est souvent un réconfort.

Eh bien ! apparemment, dans la pensée d’Édouard, Minette en vint à faire partie intégrante des thèmes, versions, grammaire et dictionnaires latins : car un beau matin de dimanche, après un devoir fait à la hâte — car il s’agissait de partir pour la campagne — elle fut déposée, pêle-mêle avec tout ce bagage, dans le placard où Édouard serrait ses livres et ses cahiers. Fort douce de caractère et même un peu langoureuse, Minette ne fit point de résistance et ne protesta même pas. Elle bâilla, s’étira, se repelotonna sur un des cahiers, et toutefois fut assez surprise quand Édouard referma sur elle la porte du placard. Mais comme elle avait pleine confiance dans les intentions de son jeune maître à son égard, elle ne fut pas inquiète et attendit en dormant qu’il cesst cette médiocre plaisanterie et vint lui rendre la liberté,

Pauvre Minette ! On était au matin d’une vacance de deux jours, et toute la famille partait pour la campagne, d’où elle ne devait revenir que le lendemain au soir !

Édouard, lui qui déclarait si lestement que l’étourderie n’est qu’une peccadille, qu’en aurait-il pensé à la place de Minette, pendant ces quarante-huit heures de jeûne et de prison ? Je crois pouvoir l’assurer sans hésitation, le mot de crime eût à peine paru suffisant à son indignation et à sa fureur.

Il est moins facile de conjecturer les réflexions de Minette. Ce n’est pourtant pas s’avancer trop que de dire qu’elles furent amères. La pauvre bête, au bout de quelques heures, ayant épuisé toute patience, miaula, gratta de ses ongles les portes fermées, jura même, malgré sa douceur et sa bonne éducation, tout cela inutilement, puisque la maison était déserte. Le jour, la nuit, puis un autre jour s’écoulèrent ainsi. Minette se mourait de faim et de peur, car la prévision de la mort semble appartenir à l’animal aussi bien qu’à l’homme. Le soir du second jour enfin, la famille rentra. Mais il était fort tard : on était fatigué par ces deux joyeuses journées de courses champêtres ; on ne songeait qu’à se coucher et personne n’entra dans la salle à manger. Quelqu’un ensuite se rappela bien avoir entendu un miaulement faible et comme lointain et des grattements ; mais croyant Minette en liberté, on n’y fit pas attention.

Ce ne fut donc que le surlendemain au matin, quand Édouard vint prendre ses cahiers, au moment d’aller au collège, qu’ouvrant le placard, il en vit sortir Minette, le poil en désordre, toute défigurée, et qui sautant hors de sa prison, fila d’un air effaré sans lui dire bonjour. Car elle se rappelait, Minette, qui l’avait ainsi renfermée, et ne sachant pas sans doute que les étourdis font le mal sans y songer, elle croyait à la méchanceté d’Édouard et ne l’aimait plus. Et certes elle n’aurait jamais imaginé que c’est elle qui allait être accusée par Édouard et que tête humaine pouvait être si mal organisée, Car veuillez deviner, je vous prie, sans m’obliger à vous le dépeindre, l’état du placard après ce séjour forcé de Minette pendant quarante-huit heures… Mais était-ce la faute de Minette ou celle d’Édouard ? Et cependant, je vous le répète, ce fut Édouard qui s’emporta :