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Qui ? — Après tout, quelqu’un peut-être ; pour moi, qui depuis longtemps ne suis plus enfant et qui ai la manie de vouloir que les leçons servent à quelque chose, ça ne laisse pas de paraître surprenant. Il faut que les étourdis — à ce qu’il me semble — aient des éclipses totales de mémoire ou qu’ils comptent étrangement sur d’heureux hasards. Voici le fait :

Le cabinet du papa d’Édouard était, du haut en bas, tout rempli de livres. Du lecteur aux derniers rayons de cette abondante bibliothèque, la communication se faisait par une échelle, Cette échelle se trouvait en réparation. Or le rayon d’en haut supportait certains albums de gravures qu’Édouard aimait beaucoup à feuilleter ; il fallait attendre ; les impatients ne le savent pas. Puis notre écolier aimait fort à suppléer par lui-même aux moyens qui lui manquaient et à se prouver qu’il avait l’esprit inventif. Sans doute il n’est pas mal de chercher à vaincre les obstacles, mais il est bon que le but soit utile et les moyens réfléchis.

Édouard plaça d’abord deux chaises l’une sur l’autre : c’était loin d’être assez haut ; il en mit trois. Sur la troisième chaise, un escabeau. Mais ce n’était pas assez encore. Pour qu’Édouard püt choisir à l’aise, il fallait que sa tête touchàt au plafond, et l’étage était élevé. Sur l’escabeau, Édouard plaça un pouf. Restait à hisser sur le pouf le dernier objet, c’est-à-dire Édouard lui-même. C’est ce qu’il s’efforça de faire avec précaution. Mais, dans cette escalade, le poids de son corps attirant l’édifice d’un seul côté, déplaça un des pieds de la deuxième chaise. Tout croula juste au moment où Île grimpeur mettait le genou sur l’escabeau. Et, le lendemain, quand Édouard passa sur l’escalier, la tête entourée de linges, car il s’était entamé le front, sa consolation fut d’entendre dire aux voisins irrités de tout le tapage que faisait ce petit garçon :

« Ça lui est bien dû ! »

Édouard n’acceptait pas ce jugement. 1] trouvait de son côté les grands ridicules et injustes d’avoir horreur du mouvement et de ne vouloir bouger, et prétendait que ces gens-là, si on les écoutait, empêcheraient volontiers la terre de tourner, le vent de souffler et les enfants de courir. Et il ajoutait d’un ton capable :

« Ils ne savent pas la physique, apparemment. C’est le mouvement qui est la vie. C’est le mouvement qui fait tout.

— Soit, répondait sa maman ; mais le mouvement harmonique et non pas le mouvement désordonné. Le mouvement fait tout, en effet, même le mal, et le mal c’est le mouvement des gens qui ne savent pas ce qu’ils font.

— Au moins les étourdis ne font pas le mal exprès.

— Ils n’en sont pas moins fort désagréables, car il est rare qu’un étourdi n’ait pas pour victimes ceux qui l’entourent. Ces désagréments incessants fatiguent la patience des gens, et c’est pourquoi, je l’avoue, les étourdis s’attirent peut-être plus de récriminations et d’antipathie que leur intention ne le mérite. Mais peut-être aussi que s’ils craignaient davantage de gêner et de déplaire, ils seraient moins étourdis. »

Cette remarque de la maman que l’étourderie fait des victimes autour d’elle, la pauvre Minette entre autres eût pu l’affirmer ; Minette, une belle chatte blanche, rouge et noire qu’après Apis Édouard aimait tendrement. Si Apis avait le privilége d’accompagner son maître à la promenade et de partager ses jeux bruyants, c’est Minette qui partageait ses études. Elle était familière, plus que bien des gens, avec les dictionnaires grecs et latins sur lesquels elle faisait souvent un