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qu’il faisait mauvais temps, et notre garçon se sentait dans les jambes des besoins de gymnastique. En regardant le perroquet monter et descendre les étages de son perchoir à l’aide de son bec et de ses pattes, Édouard fut pris du désir d’en faire autant.

— Pourquoi pas ? Le perchoir était si grand, si solide ! il manquait peut-être un peu de base, mais l’invention pouvait y suppléer. Édouard posa donc sur la base du perchoir le garde-feu de la cheminée qui était très-lourd, puis deux gros tabourets, et encore un écran et une chancelière. De l’échelon le plus haut, l’ara contemplait ces préparatifs d’un air sérieux et défiant ; et quand Édouard commença l’ascension de son perchoir, on eût dit qu’il comprenait les lois de l’équilibre mieux que ce petit écolier, car son inquiétude devint très-vive, et se réfugiant sur la pointe extrême, il se mit à crier de toutes ses forces :

« Veux-tu finir ! petit brigand ! veux-tu finir ! »

Édouard ne tint compte de ces avertissements et continua de monter. Quand sa tête dépassa le perchoir, le perroquet, éperdu, monta sur cette tête, et cramponné de toute la force de ses pattes aux cheveux d’Édouard :

« Petit brigand ! veux-tu finir !

— Finis plutôt toi-même ! criait Édouard. Tu me fais mal, vilaine bête ! »

Et il secouait la tête pour faire envoler le perroquet, mais ne réussissait qu’à se faire tirer horriblement les cheveux.

Comme il se démenait ainsi et qu’il état arrivé à dépasser de tout le buste le haut du perchoir, le poids de son corps l’emporta, et le perchoir, Édouard et le perroquet allèrent s’abattre pêle-méle sur le parquet, avec un grand bruit, auquel se joignirent les sons stridents du garde-feu de cuivre lancé en l’air, la retombée, mais bruyante, des deux tabourets, la chute d’une pincette qui s’abattit de peur, le bris d’une tasse posée sur la table ronde qui sauta de compagnie, et par-dessus tout les cris perçants de l’ara.

À cet effroyable tapage, tous les habitants de l’étage inférieur montèrent effrayés, demandant la cause de ce tremblement et si le toit s’était effondré. Il en vint même de toute la maison.

Je vous laisse à imaginer le mécontentement de la grand’mère. Elle pria ce soir-là M. Édouard de diner tout seul de potage et de pain sec, dans un cabinet sans perchoir et même sans meubles, où il dut passer toute la soirée, car la grand’maman ne connaissait pas la justice des choses et tenait à remplir elle-même ce rôle.

Il faut croire que le perroquet partageait sur ce point les sentiments de sa maîtresse, car après cette aventure, la première fois qu’Édouard vint-lui parler et voulut jouer avec lui comme autrefois, Jacquot lui saisit le doigt et le mordit jusqu’au sang. Et, comme les perroquets ont la vie très-longue, il paraît que leur rancune est durable en proportion ; car des années se passèrent, pendant lesquelles Édouard eut en Jacquot un ennemi irréconciliable et s’entendit traiter de petit brigand. Ce fut seulement quand les allures pétulantes et prime-sautières de l’enfance eurent fait place à des mouvements paisibles et réfléchis, ce fut alors seulement qu’Édouard rentra en grâce et fut admis, comme les autres membres de la famille, à la faveur toute particulière de pouvoir gratter Jacquot se prêtant à cet exercice le cou tendu et les ailes amicalement éployées.

— Qui de vous croirait après cela qu’Édouard pût tenter une autre ascension peu de jours après, dans des conditions presque aussi fâcheuses ?