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LA JUSTICE DES CHOSES

LES ÉTOURDERIES D’ÉDOUARD

« Mon cahier ! mon cahier ! Qui est-ce qui m’a pris mon cahier ? »

Ainsi s’écriait Édouard un lundi matin, à l’heure de partir pour le collége, après avoir à la hâte achevé de déjeuner, car il était déjà en retard. C’est qu’il avait fait la veille une grande course et s’était réveillé fort alourdi. Oh ! comme il eût voulu rester dans son petit lit, à rêver, rien qu’un moment, à ce bois de Meudon, aux rameaux humides, aux mousses reverdies, aux violettes et aux primevères écloses, aux bourgeons épanouis qui s’étalaient en panaches avec un petit air de triomphe, tandis que tout ensemble, à l’entour, bois, prés et vallons, avait un grand air de fête !

Mais non, hélas ! Il fallait se lever en hâte, reprendre son de viris et aller respirer l’air sec, peu vivifiant et pas du tout aromatique de la classe.

« Édouard ! Édouard ! allons vite ! il est sept heures. »

Édouard s’était donc levé, maugréant, agacé, trouvant que les lundis ne valaient pas les dimanches, que la vie était pleine de changements brusques, mal imaginés, enfin dans une humeur philosophique assez âpre. Et maintenant, pour comble, il ne trouvait pas son cahier, le cahier de sa version, de sa version de samedi soir qu’il lui fallait absolument remettre av professeur ce matin même ! Et l’aiguille de la pendule marchait ! Et la cervelle du petit garçon galopait ! Et il remplissait la salle à manger de ses doléances, de ses accusations, de ses cris !

De ses accusations ! Et contre qui ?

Contre M. On. Ce monsieur que vous connaissez sûrement pour l’avoir souvent accusé vous-mêmes ; celui qui fait toutes les bévues dont l’auteur n’est pas reconnu, toutes les sottises anonymes.

« Je l’avais mis là samedi soir ; je me le rappelle très-bien. C’est très-extraordinaire ! Il faut qu’on me l’ait pris ! Ah ! si je savais ! »

Et M. Édouard promenait de Mariette à Adrienne des yeux foudroyants.

Mariette, sans y prendre garde seulement, avec un sang-froid qui équivalait à un haussement d’épaules, s’occupait de desservir le déjeuner. Adrienne, qui d’abord avait bien voulu aider Édouard dans sa recherche, s’irrita de telles insinuations.

« On vous l’a pris, monsieur ! Et qui donc, s’il vous plait ? On s’occupe bien vraiment de vos versions et de vos cahiers, et la chose vaut la peine qu’on s’en empare ! Il ne faut pas accuser les autres, parce qu’on est étourdi.

— Je te dis que je l’avais mis là ; je le sais bien, moi ! Et comme je ne l’ai pas Ôté !…

— Que veux-tu qu’on en ait fait ?

— Est-ce que je sais ? Il y a des gens qui se mêlent de toucher à tout. »

Et le regard foudroyant, cette fois, s’appuyait directement sur Mariette.

« Oh ! monsieur Édouard, dites donc, si c’est moi que vous voulez dire, faut pas vous gêner. Je ne toucherai plus à rien de vos affaires, ni à votre chambre, ni à votre couvert, ni à vos souliers.

— Je parle de mes cahiers, je ne parle pas d’autre chose, vous le savez bien, » répondit Édouard d’un ton superbe, quoiqu’il fût, au dedans, peu rassuré, car la proposition lui semblait menaçante.