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LA JUSTICE DES CHOSES

ÉDOUARD COMPATISSANT.

Ce qui avait aussi beaucoup relevé l’esprit d’Édouard, c’était un mot de sa mère :

« Il y a en effet des actes, avait-elle dit, que nous ne pouvons réparer vis-à-vis de ceux qui en ont été victimes ; mais alors c’est à d’autres que nous devons transporter cette réparation. On peut toujours racheter une faute en faisant du bien. »

Dès lors le cœur d’Édouard s’était tendu vers l’espérance de trouver du bien à faire. Mais lequel ? Un enfant dispose de si peu de force et de pouvoir !

Il revenait un jour plein de cette pensée, et vaguement son regard cherchait dans la rue quelque petite blanchisseuse écrasée sous le poids de quelque panier, quand, au détour d’une rue, son oreille fut saisie par un hurlement plaintif, et il vit un chien blanc et noir de moyenne taille, que le balai d’une épicière venait de souiller de boue en le frappant, tandis qu’il allongeait le museau — avec réserve et timidité pourtant — vers une boîte de biscuits placée au seuil de la boutique, sur un sac de haricots.

« Pauvre bête ! » murmura le petit garçon dont le cœur était devenu sensible à la misère, et surtout, je crois, à celle des chiens.

Comme s’il eût deviné cette compatissance, l’animal attacha sur Édouard ce long regard des chiens affligés ou en détresse, qui cherche sympathie ou secours.

« C’est qu’il a faim, » se dit Édouard. Et tout joyeux de cette occasion de rendre service à un individu de l’espèce canine, il se hâta de chercher dans sa poche, y trouva deux sous et reçut de l’épicière pour cette somme quatre biscuits. Pendant cette emplette, le chien qui se tenait à l’écart sur le trottoir, allongea tout à coup la tête et fit entendre un de ces hurlements prolongés, douloureux, funèbres, qui ont des rapports d’intonation avec le cri de l’orfraie et dont on dit : Crier au perdu.

« Chien chien ! fit Édouard appelant à lui l’animal et lui tendant les biscuits dont il venait d’entrer en possession, tiens, ma pauvre bête !

— Ah ! il est à vous, observa l’épicière qui était restée sur le seuil de sa boutique. Je croyais que c’était un chien perdu ; car voilà bien une heure qu’il est dans la rue et il a déjà pas mal ramassé de coups de pied, parce qu’il veut suivre tout le monde.

— Pauvre bête ! » répéta l’enfant, appelant de nouveau le chien qui, rendu craintif par les mauvais traitements, n’osait approcher.

La vue des biscuits l’emporta à la fin sur la défiance ; il vint, avala d’un trait, se lécha le museau et reçut avec reconnaissance les caresses d’Édouard.

« Ah ! ah ! te voilà content, maintenant. Tu vois, je ne voulais pas te faire de mal, pauvre petit. Là ! allons, adieu ! »

Et le petit garçon prenant congé de son protégé par une dernière tape d’amitié, se releva et continua son chemin.

Il n’avait pas fait dix pas qu’il sentit quelque chose lui mordiller les talons, et se retournant, vit le chien qui le suivait et qui, rencontrant son regard, se mit à le flatter de la queue et à le saluer d’un aboiement amical.

« C’est bon, c’est bon, lui dit Édouard,