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avait faite ! Oh ! comme il était triste ! Comme sa tête se penchait sur sa poitrine !… Il voulut combattre cette impression, regarder de droite et de gauche, siffler, se distraire… il ne pouvait pas. Il voyait toujours la scène horrible, il entendait toujours les cris de la malheureuse créature dont ils avaient arraché la vie ; il avait toujours dans les yeux cet œil mourant qui lui reprochait sa cruauté. Jamais il ne s’était senti si coupable et si malheureux ; et puis il pensait avec terreur qu’il allait paraître devant sa mère. Que lui répondrait-il, quand elle l’interrogerait ?

Il arrivait tard, en effet, bien tard, et quand sa mère le lui dit, d’un regard triste et d’une voix sévère, Édouard, en balbutiant, avoua qu’il était allé essayer un cerf-volant dans la plaine de Monceaux… et n’avoua rien de plus. Il sentait que l’action odieuse qu’il avait commise exciterait un mouvement d’horreur dans l’âme de sa mère, et il ne trouvait pas le courage… Oh ! non ! Il lui semblait que sa mère ne l’aimerait plus !

Édouard se trompait. Les mères aiment toujours. Elles peuvent souffrir beaucoup de cet amour. L’enfant peut leur en faire une douleur ou une joie. Mais voilà tout.

Il se coucha, bien triste. Et d’abord il crut qu’il ne pourrait pas dormir. Mais on s’endort toujours à neuf ans, en quelque situation que l’on soit, comme n’importe où l’on se trouve. Seulement le sommeil n’est pas toujours complet. Pour cela, il faudrait qu’il fût le repos de toutes nos forces et de toutes nos facultés ; mais celles qui ont été excitées outre mesure se refusent à ce repos et remplissent le cerveau du souvenir des objets qui les ont frappées, avec une incohérence toutefois qu’explique l’absence des autres facultés, celles qui ont pris le sage parti de dormir. Ainsi donc, Édouard, à peine assoupi, se trouva n’avoir changé que de scène ou plutôt de vision ; mais sa préoccupation resta la même.

Il se vit d’abord dans une grande plaine couverte de pierres, où soufflait un vent qui le glaçait jusqu’aux os, et il marchait vite, le plus vite possible, en songeant que ses parents l’attendaient et en voyant la nuit s’avancer ; mais plus il allait, plus la plaine devenait pierreuse, si bien qu’à la fin ce furent des tas amoncelés qu’il fallait gravir, et ce n’était pas chose facile ; car tantôt ces pierres fuyaient sous les pieds en aboyant, tantôt elles mordaient les jambes d’Édouard avec de longs crocs blancs aiguisées, dont elles étaient toutes dentelées, et enfin, quand avec des peines infinies Édouard était parvenu à gravir un de ces tas, il s’écroulait tout à coup, et un autre tas se présentait qu’il fallait gravir encore. Cela dura longtemps, et il était bien las.

À la fin, pourtant, les tas de pierres s’aplanirent et Édouard se trouva dans un jardin où il savait que devait être sa mère. Il y marcha quelque temps ; mais voilà qu’à l’entrée d’une allée, par où il devait passer, il vit un chien couché, un jeune chien au poil jaunâtre, ensanglanté, mourant, et il eüt fallu le toucher presque en passant. Édouard recula et voulut changer de chemin, cer il se trouvait dans un carrefour ; mais à l’entrée de tous les chemins qu’il voulut prendre, c’était la même chose : le chien mourant était toujours là. L’épouvante, le chagrin serraient le cœur d’Édouard. Il se trouvait emprisonné dans cet affreux carrefour, loin de sa mère dont il entendait au loin, derrière des bocages, la voix l’appeler. Non sans une horrible répugnance, il essaya donc de franchir l’obstacle ; mais au moment où il leva le pied pour passer, les pattes du chien s’allongèrent en grossissant d’une manière formidable et de-