Page:Magasin d education et de recreation - vol 15 - 1871-1872.djvu/159

Cette page n’a pas encore été corrigée

peu, ou bien le menton dans sa main, regardant sa maman dont les doigts légers volaient sur l’ouvrage, tandis que son front grave, son doux sourire et son oreille attentive se penchaient vers son enfant, Édouard trouvait le temps de réfléchir ; mille idées lui arrivaient dans la tête ; il voyait en lui-même et disait ce qu’il y voyait. Et souvent, à la fin, on se lançait dans des imaginations, des fantaisies interminables et au bout desquelles, parfois, on Se trouvait avoir fait le tour du monde et même bien des excursions dans les mondes que ne mentionne pas la géographie. Toujours, après ces conversations, Édouard se sentait plus fort, et il lui semblait qu’il avait grandi.

Ce jeudi-là, Édouard, après un silence, dit tout à coup :

« Je voudrais savoir si madame la justice des choses, qui s’entend si bien à distribuer des taloches et des coups de canne à ceux qui font mal, s’occupe au moins de récompenser ? Car enfin il me semble que punir ça doit être la moitié seulement de son ouvrage. »

La maman sourit.

« À quel propos me demandes-tu cela ? »

Édouard devint tout rouge. Il pensait à son aventure de la veille, au service qu’il avait rendu à la petite blanchisseuse.

« Tu veux savoir ce qu’on gagne à soulager les faibles de leurs fardeaux, n’est-ce pas ? ».

Ce fut encore le silence d’Édouard qui répondit.

« Oh ! il n’y a pas pour cela une récompense, il y en a plusieurs. Seulement, elles ne sont pas de la nature des taloches et des coups de canne ; en général elles ne se pèsent ni ne se touchent, étant d’ordre supérieur. C’est pourquoi les gens qui ne connaissent que ce qui se voit et se touche, demandent souvent où elles sont. Et on les entend répéter qu’à rendre service, on n’oblige que des ingrats. Ne pourrait-on pas leur répondre : Ce n’était donc pas pour obliger, ce que vous faisiez ; mais pour en recevoir un avantage ? Vous n’avez donc pas fait une action d’amour ou de bonté, mais un marché ? Dans cet ordre de choses, les services qu’échangent les hommes en société ont une valeur tarifée, et, par exemple, le service que tu as rendu hier à cette petite fille vaut 50 centimes à peu près, puisqu’un portefaix l’eût fait pour ce prix.

— Mais je ne l’ai pas fait pour gagner de l’argent, dit Édouard mortifié.

— Pourquoi l’as-tu fait ?.

— Parce que j’avais de la peine de la voir chargée plus que ses forces.

— C’est cela. Tu as éprouvé une souffrance, très-noble d’ailleurs, et tu as voulu la faire cesser. Tu as satisfait ton sentiment. Et c’est pour cela que tu voudrais une récompense. »

Édouard baissa la tête,

« Tu as si bien senti que ces choses-là sont au-dessus d’un payement quelconque, d’une rémunération positive que, lorsque j’ai compris ta pensée tout à l’heure et que j’ai rapporté ta question à ton aventure d’hier, tu as rougi.

— C’est vrai ! dit Édouard en rougissant de nouveau.

— Cherche un peu ce que signifie ta confusion.

— C’est que j’ai senti qu’on ne doit pas se vanter d’une bonne action ni en attendre de récompense.

— Mais pourquoi cela ? »

Édouard fut embarrassé pour le dire.

« Parce que la récompense est dans la bonne action même. Parce qu’elle est un bonheur pour celui qui la fait, encore plus que pour celui qui la reçoit. Et puis, en même temps, c’est une force, c’est une grandeur. Allez donc récompenser les gens d’être forts, d’être grands et d’être heureux !