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Le 7 mai, à sept heures du soir, le capitaine Bourcart se trouvait à l’ouvert de la baie Marguerite, dans laquelle il comptait jeter l’ancre. Par mesure de prudence, comme la nuit ne devant pas tarder à venir, il fit mettre en panne cap au large et louvoya sous petits bords, de sorte que, le lendemain, dès le lever du soleil, il était de retour à l’entrée de la passe.

Le courant descendait alors contre le vent, ce qui produisait un clapotis comparable à celui qui marque les bas-fonds bas-fonds. On pouvait craindre que l’eau n’y fût pas assez profonde. Aussi M. Bourcart envoya-t-il deux pirogues avec des lignes de sonde afin d’y effectuer un brassiage exact. Il fut rassuré, d’ailleurs, lorsque les sondes accusèrent de quinze à vingt brasses. Le navire s’engagea donc à travers la passe, et il eut bientôt donné dans la baie Marguerite.

Les vigies n’avaient point revu le trois-mâts anglais. Peut-être, après tout, ce navire cherchait-il d’autres lieux plus fréquentés par les baleines. Personne ne regretta de ne plus marcher de conserve avec lui.

Comme la baie est embarrassée de bancs de sable, leSaint-Enoch ne devait pas avancer sans d’extrêmes précautions. Ce n’était pas la première fois que M. Bourcart visitait cette baie ; mais, les bancs étant sujets à se déplacer, il importait de reconnaître la direction du chenal. Aussi vint-il mouiller au milieu d’une petite anse très abritée.

Dès que les voiles furent serrées, l’ancre envoyée par le fond, les trois pirogues de bâbord se rendirent à terre, afin de rapporter des palourdes, excellents coquillages en abondance sur les roches et les grèves. Du reste, ces parages fourmillent de poissons de plusieurs espèces : mulets, saumons, vieilles et autres. Ni les loups marins, ni les tortues n’y font défaut, les requins pas davantage. On peut aussi s’y procurer facilement du bois car d’épaisses forêts s’avancent jusqu’au bord de la mer.

La baie Marguerite mesure de trente à trente−cinq milles, soit une douzaine de lieues. Pour y naviguer sans avarie, il est nécessaire de suivre sur toute sa longueur un chenal qui, par endroits, n’a pas plus de quarante à cinquante mètres de large entre les bancs ou les roches.

Afin d’assurer une bonne direction, le capitaine Bourcart fit ramasser quelques gros cailloux auxquels une corde fut amarrée par un bout, tandis que l’autre se rattachait à un baril bien fermé. C’étaient autant de bouées que les hommes placèrent de chaque côté du chenal afin d’en indiquer les sinuosités.

Il ne fallut pas moins de quatre jours, — le jusant obligeant à mouiller deux fois par vingt-quatre heures, — pour atteindre une lagune, profonde d’au moins deux lieues.

Pendant ces arrêts, M. Heurtaux, accompagné des deux lieutenants, prenait terre et allait chasser aux environs. Ils tuèrent plusieurs couples de cabris et aussi quelques chacals fort nombreux dans les bois. Pendant ce temps, les matelots faisaient provision d’huîtres très savoureuses et se livraient à la pêche.

Enfin, le 11 mai, dans l’après-midi, le Saint-Enoch atteignit son mouillage définitif.

L’emplacement de ce mouillage occupait à trois encâblures du fond une crique que des buttes boisées dominaient dans sa partie nord. Des autres rives plates, toutes en grèves sablonneuses, se détachaient deux langues de terre arrondies, semées de roches noirâtres d’un grain très dur. Cette crique s’ouvrait dans le littoral ouest de la lagune, et il y restait toujours assez d’eau, même à mer basse, pour que le bâtiment n’eût pas à craindre d’échouer. Au surplus, ainsi que dans ces mers du Pacifique, les marées n’étaient pas très fortes. Ni en pleine ni en nouvelle lune, elles ne donnaient une différence de plus de deux brasses et demie entre le plus haut du flot et le plus bas du jusant.

Cet emplacement avait été heureusement choisi. L’équipage n’aurait point à s’éloigner pour faire du bois. Un ruisseau, qui sinuait entre les buttes, formait une aiguade à laquelle il serait facile de s’approvisionner d’eau douce.

Il va de soi que le Saint-Enoch ne s’était