Cette pierre, en somme, n’appartenait à personne : elle était enfouie sous la terre depuis tant de siècles !
Le musée auquel était destinée la momie n’en avait que faire !… Et M. de Ribagnac ne la regrettait que par pur amour de l’art…
On la placerait sous une vitrine, où elle ne rendrait pas plus de services qu’un caillou du chemin : la somme qu’elle représentait pouvait, au contraire, faire tant d’heureux, peut-être même sauver des existences…
Le médecin n’avait-il pas dit, l’an passé, que le père Vincent avait « quelque chose du côté du cœur ».
Si la vente de la chère maison allait le tuer, que deviendraient la mère et les deux petits.
Vincenou avait beau endormir sa conscience sous d’ingénieux sophismes, il savait bien au fond qu’il agissait mal !
Son sommeil fut très agité : il rêva qu’il était de nouveau au catéchisme et qu’il entendait la voix de M. le curé répéter à satiété :
Le bien d’autrui tu ne prendras
Ni retiendras injustement.
Elle roulait dans l’église comme le tonnerre dans la montagne, tant et si bien que le petit garçon se réveilla en sursaut, les tempes moites de sueur.
Il avait gardé l’émeraude et il la serrait si fort que les facettes s’étaient incrustées dans la paume de sa main !
Le lendemain matin, il se leva très las. Si M. de Ribagnac l’avait examiné attentivement, il se fût alarmé de sa mauvaise mine ; mais le vieux savant avait la vue très basse et, de plus, son esprit était ailleurs.
« Victoire ! s’écria-t-il, en apercevant son jeune secrétaire, j’ai passé la nuit à déchiffrer l’inscription hiéroglyphique. Nous sommes en présence de la momie de Thoutmès III, que l’on dut, à une époque reculée, enlever des Pyramides et cacher ici pour la soustraire aux profanations… Ce sera l’une des plus grandes découvertes du siècle ! »
Il gesticulait !… il s’épongeait le front… il ne pouvait tenir en place !…
« Thoutmès III !… Thoutmès III !… répétait-il, Thoutmès III, le conquérant de l’Asie occidentale, « celui qui posa les frontières de l’Égypte où il lui plut », comme le dit un ancien chant héroïque… Le musée de Boulacq ne possédait pas encore une pièce aussi curieuse… Je ne regrette qu’une chose : la pierre du diadème… Elle devait être d’une grosseur peu ordinaire !… Ces gueux de Bédouins, ils n’en font jamais d’autres !…
Vincenou rougit jusqu’au front : un moment, il fut sur le point de tout avouer… Il glissa même la main dans sa poche ; mais, avant de trouver l’émeraude, il rencontra la lettre de son père, et le seul contact du papier froissé l’ancra dans sa faute…
On ne vendrait pas les Borderies !…
IV
Les fouilles s’achevèrent rapidement : on enferma dans des caisses les objets recueillis ; la momie de Thoutmès eut les honneurs d’un long coffre qui ressemblait à un cercueil ; puis, le permis de circulation étant arrivé, les précieux colis, soigneusement scellés, furent confiés à la voie administrative, qui se chargeait de les transporter au Caire, et M. de Ribagnac réintégra sa dahabieh pour descendre le Nil.
Vincenou ne dormait ni ne mangeait plus depuis qu’il portait suspendue à son cou, dans un petit sachet, l’émeraude du pharaon.
Les choses qui l’entouraient lui paraissaient sombres comme son cœur !
Où étaient les beaux granits roses qui semblent toujours retenir un peu du soleil qui les caresse ?… Il n’apercevait plus que des roches calcinées, des falaises abruptes… la désolation du chaos !… L’eau bouillonnait sur les pierres, et, au lieu de filer droit, la dahabieh louvoyait pour ne pas se briser contre les écueils.
Tout à la joie de sa découverte, M. de Ribagnac ne demandait à son petit secrétaire que de recopier lisiblement ses griffonnages hâtifs, sans se douter de l’épreuve qu’il lui infligeait.
Le seul nom de Thoutmès était devenu odieux à Vincenou : dès qu’il l’écrivait, il revoyait devant lui le pharaon avec son air sévère et son grand nez et il lui semblait que les lèvres parcheminées allaient s’entrouvrir pour lui crier : « Voleur, voleur ! »