Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIV, 1901.djvu/87

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
J. DE COULOMB


L’ÉMERAUDE DU PHARAON



III


Les autorités locales avaient été averties de l’arrivée de M. de Ribagnac.

Depuis le moudhir[1] jusqu’aux derniers gaffirs[2], tous avaient reçu l’ordre de le laisser opérer ses fouilles dans la région choisie par lui : ce cimetière, abandonné depuis plusieurs siècles, où son flair de chercheur lui faisait pressentir l’une de ces intéressantes découvertes que les pillards du désert, grands détrousseurs de pyramides et autres lieux funèbres, rendent tous les jours plus rares.

Vincenou trouva que l’endroit désigné par le baron n’avait rien de réjouissant.

Du sable à perte de vue et quelques tas de pierres qui indiquaient les sépultures !…

Des ouvriers, recrutés en chemin, commencèrent aussitôt les sondages, sous la direction du réïs, le conducteur indigène des travaux. Ils déterrèrent ainsi des corps enveloppés de dix à douze linceuls, qu’ils apportaient aussitôt dans la tente de coutil où M. de Ribagnac avait établi son quartier général.

Vincenou éprouva une impression très désagréable en présence de la première momie ; mais il eut vite surmonté cette involontaire répugnance, et quelque temps après il pouvait écrire à ses parents :

« Je suis bien occupé !… Toute la journée, je brosse et je nettoie les linceuls des momies, puis je mets ces étoffes en petits tas numérotés et j’inscris sur un livre, en regard des numéros correspondant aux objets, leur description. Il faut beaucoup d’ordre, puisque tout doit être remis au Service des Antiquités… M. le baron est content de moi et je me porte bien ; je désire que la présente vous trouve de même… »

Ce souhait final, que Vincenou jugeait indispensable, ne fut pas exaucé.

La lettre de Ribagnac, qui se croisa avec la sienne, ne contenait que de tristes nouvelles.

Vincenille était tombée d’une échelle, et si malheureusement que, pour qu’elle ne restât pas infirme le reste de sa vie, il avait fallu la conduire à un grand médecin de Bordeaux.

Celui-ci avait ordonné un traitement coûteux et la mise de l’enfant dans un appareil.

On ne pourrait pas encore replanter la vigne, réparer la toiture, curer le fossé, payer les vieilles dettes, et voilà que le cousin Chambareau, qu’on croyait patient, avait envoyé l’huissier.

Il allait faire vendre les Borderies ! Le père Vincent n’ajoutait pas de commentaires, mais on le devinait écrasé sous ce dernier coup de massue !

Vincenou lui-même vit trouble !… Les Borderies à d’autres ?… Non, ce n’était pas possible !

Et sur la lettre péniblement écrite par le vieux paysan, un après-midi de dimanche, ses larmes vinrent délayer l’encre et former de petites lunes noires…

Juste à ce moment, M. de Ribagnac l’appela de la tente :

« Pierre, arrive vite ! »

Que se passait-il ?

Les ouvriers venaient d’exhumer une nouvelle momie, et, sous la première enveloppe, ils avaient trouvé un linceul d’une telle richesse qu’il laissait présumer la haute qualité du mort inconnu.

Les mains de M. de Ribagnac tremblaient en coupant les bandelettes ; il écarta enfin le dernier voile de lin et la momie apparut.

C’était celle d’un vieillard dont le visage, au grand nez busqué, aux pommettes saillantes, était empreint d’une réelle majesté.

Un collier à trois rangs entourait son cou, et, sur son front, un bandeau d’or ciselé semblait indiquer le rang suprême.

« Petit, murmura le baron, je crois que nous sommes à la veille d’une grande découverte… Nous avons devant nous un pharaon. »

  1. Gouverneur de la province.
  2. Sortes de gardes champêtres.