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P. PERRAULT

Catherine soupira sans répondre. Qu’eût-elle pu dire à l’orphelin, qui diminuât pour lui la tristesse de son isolement dans la vie. Elle se contenta de l’embrasser encore et de le serrer contre elle, par un geste protecteur très tendre.

Il comprit tout ce que cette étreinte lui promettait d’affection. Relevant sur sa vieille amie ses yeux reconnaissants, il déclara :

« C’est heureux que je vous aie, Catherinette ! oui, c’est heureux !

— Qui t’a fait présent d’un pareil manteau ? s’informa celle-ci, remarquant la loque informe qui flottait sur les épaules grêles du bambin.

— Personne. C’est le vieux parapluie de grand-père que j’ai défait. Il m’a bien servi ! Avec son chapeau et ça, j’ai reçu deux averses sans être trop mouillé.

— Si ta pauvre maman te voyait ainsi affublé ! soupira Catherinette. Et pieds nus ! pour venir de si loin !

— J’avais peur d’user mes souliers. Il m’en faudra quand je serai chez les autres !… »

Il s’interrompit, et, jetant autour de lui un coup d’œil émerveillé :

« C’est beau, ici, et grand ! Il doit falloir du monde pour faire l’ouvrage.

— Oui, mais, malheureusement, le service est au complet.

— On me gardera bien quelques jours, quand même, dites, ma bonne Catherinette ? J’ai amené mes oies pour payer ma dépense. Et puis je travaillerai. Seulement, des oies, il y en a une qui revient à M. Marcenay. »

Tout occupée de l’enfant, Catherine n’avait pas pris le temps de songer à Pierre, dont la présence à côté de Greg s’expliquait si peu, qu’elle croyait le jeune homme venu pour rendre visite à quelque malade.

Lorsque petit Greg lui eut présenté son protecteur, la bonne fille releva sur celui-ci son regard, affectueux toujours, mais qui prenait, dès qu’elle était émue, une expression d’une intense douceur.

« Vous avez veillé sur cet enfant, monsieur ! Vous vous êtes peut-être même détourné de votre route, et en tout cas retardé, pour me le conduire. Je vous en remercie de tout mon cœur. Il a bien besoin de protection, le pauvre ! Sans personne, aucune ressource et guère de savoir… »

Elle s’interrompit pour dire au jardinier qui traversait la cour :

« Voudriez-vous serrer ces oies quelque part, monsieur Gérôme ? »

Puis, faisant signe à Greg et à Marcenay de la suivre, elle ajouta, tout en les faisant entrer au parloir :

« Je vais chercher madame la supérieure. »

Greg s’assit tout songeur à côté d’une fenêtre. Dans la cour, les religieuses allaient et venaient, affairées à installer leurs convalescents de façon commode. Quelles précautions ! Avec quel soin elles choisissaient les coins les mieux abrités ! On devait être heureux dans cette maison. Était-ce dommage qu’on ne pût pas l’y garder !…

Quelques minutes s’écoulèrent.

L’enfant et le jeune homme n’avaient pas échangé un mot.

Préoccupé d’une idée subitement éclose en son cerveau, Pierre marchait à travers la grande pièce, virant de bord avec la régularité d’un marin sur sa passerelle, sans même accorder un regard aux beaux meubles anciens dont le parloir était orné.

Cette méditation silencieuse se poursuivit jusqu’au moment où un grincement léger, avertissant le jeune homme que la porte venait de s’ouvrir derrière lui, le fit interrompre sa marche et se retourner.

Pierre s’inclina très bas, saisi de respect et d’admiration, devant le doux visage vieilli, à l’expression sereine, qui s’encadrait si noblement dans le hennin de fine toile.

Il se figurait cette belle vieille femme penchée sur le lit d’un malade ; rien que sa vue devait calmer les maux, amener un sourire sur les lèvres brûlées de fièvre.

Catherine Dortan, qui suivait la supérieure, présenta le protecteur de son petit ami, et, allant prendre Greg par la main, l’amena devant la Mère.

Celle-ci considéra l’enfant une seconde en esquissant un geste de compassion ; puis,